
Notre TCF Pierre Thomas, à qui, fort de son expérience, il a été demandé de définir la Franc-maçonnerie en peu de lignes, a répondu à la demande en apportant des précisions intéressantes et en reprenant son histoire depuis le début. Il écrit :
Vaste sujet, mais avant de donner une approche de ce qui représente pour moi un engagement de quarante-huit ans, une précaution de langage me paraît indispensable.
En France on ne peut pas parler de « La » franc-maçonnerie mais d’au moins deux courants de la franc-maçonnerie qui n’ont plus beaucoup de sens communs. Il convient en effet de distinguer :
ü La franc-maçonnerie dite « spirituelle » née avant 1600 en Ecosse et répandue dans le monde entier, essentiellement le monde anglo-saxon, dont la caractéristique est d’exiger de ses membres une croyance en un Dieu révélé. Elle s’interdit d’intervenir dans les champs religieux, politique et sociétal. Ses membres prêtent leurs serments sur le Volume de la Loi Sacrée, ou Volume de la Sainte Loi, de leur religion. Les obédiences de ce courant respectent la régularité, c’est à dire le respect des « landmarks » fondateurs de la maçonnerie (à ne pas confondre avec la « reconnaissance » octroyée par la Grande Loge Unie d’Angleterre), et notamment celui de n’admettre que des hommes. Cette maçonnerie s’est installée en France en 1725 mais s’est scindée en 1877, date à laquelle fut créée….
ü Une maçonnerie qui se dit « libérale », abandonnant toute référence et toute exigence de croyance en Dieu, parlant au mieux de « principe créateur », ayant souvent pour religion la laïcité, voire l’anticléricalisme. C’est un courant politisé et/ou sociétal qui, partant de France, s’est étendu en Belgique, Afrique et quelques pays de l’Est. Les obédiences sont masculines, féminines ou mixtes. Les serments se prêtent sur n’importe quel livre, quelquefois la bible mais éventuellement la constitution de l’obédience ! Le Grand Architecte peut être invoqué mais en tant que concept philosophique ou principe abstrait.
Mon analyse va concerner essentiellement la maçonnerie spirituelle, celle que je connais le mieux et celle qui est la plus fidèle aux principes et à la philosophie hérités des confréries du Métier de Maçon du moyen-âge, constructeurs de cathédrales et de monuments prestigieux.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il me paraît d’abord nécessaire d’expliquer ce que n’est pas la franc-maçonnerie :
ü Ce n’est pas une église, car aucun dogme n’y est imposé, on n’y donne pas de sacrements, elle n’a pas de pape infaillible. On pourrait esquisser un parallèle : la religion possède des églises, des clercs et des croyants ; la franc-maçonnerie a des obédiences, des loges et des frères !
ü Ce n’est pas une secte, car elle n’a pas besoin de gourou, et si on y entre difficilement, on en sort facilement.
ü Ce n’est pas une société secrète, mais une société discrète que l’histoire a appris à se protéger.
ü Ce n’est pas un club service, car si on pratique la bienfaisance, c’est avec discrétion et on ne cultive pas l’affairisme.
ü Ce n’est pas un parti politique, car le pouvoir profane n’a jamais été et n’est jamais un objectif.
ü Ce n’est pas un groupe de pression, car ses effectifs français représentent moins de 0.25% de la population et l’influence de la maçonnerie « libérale » dans la société n’est pas celle qu’elle prétend avoir !
Au moment d’expliquer ce qu’est la Franc-Maçonnerie, me vient tout naturellement la définition issue des rituels anglo-saxons : la Franc-maçonnerie est un système particulier de morale enseigné sous le voile de l'allégorie au moyen de symboles. C’est un ordre initiatique traditionnel et universel fondé sur la fraternité et l’amour fraternel, qui a pour but le perfectionnement de l'homme et de l'humanité.
Perfectionner l’humanité, vaste programme quand on s’interdit de s’occuper de politique, de religion ou de sujets sociétaux ! Plus modestement, si chaque franc-maçon s’améliore moralement, intellectuellement et spirituellement, il rayonnera plus dans sa vie profane et apportera ainsi sa pierre à l’amélioration de la société toute entière. Cela dit, un homme qui demande à être initié n’a pas, a priori, comme ambition de perfectionner l’humanité. Dans une société en manque de repères, où la religion est en perte de vitesse, où les entreprises ont tendance à se déshumaniser, où la cellule familiale est remise en cause, il recherche plutôt une voie de réalisation personnelle, un supplément d’âme, une ascèse personnelle ou une école d’apprentissage et de réflexion. Devenir et être franc-maçon, c’est une démarche personnelle structurante, un fil conducteur pour toute sa vie.
La Franc-Maçonnerie spéculative s'inspire de la Franc-Maçonnerie opérative (les bâtisseurs de cathédrales) qui était chrétienne, et a été fondée par des chrétiens pour rassembler dans un même lieu tout d'abord les chrétiens, puis tous les croyants. Les deux principaux moteurs de la Franc-Maçonnerie traditionnelle sont donc la croyance en un Dieu révélé (le Grand architecte de l'univers) et l'amour entre les hommes. L'amour et la fraternité sont les valeurs intangibles de cette honorable et vieille Institution. Dès lors on ne voit pas bien pourquoi cette fraternité serait inconciliable avec la doctrine de l'Eglise catholique. L'hostilité de l'Eglise romaine à l’encontre de la Franc-Maçonnerie est probablement due à des raisons plus hégémoniques et doctrinaires que spirituelles et morales.
La démarche initiatique, qui amène un profane à devenir apprenti, puis compagnon puis maître-maçon, ne passe par aucun dogme ni aucun formatage de la pensée, c’est une des différences avec la religion. Selon René Guénon, elle le fait passer d’un état de conscience à un état supérieur de conscience.
Ceux qui viennent à l’initiation pour de mauvaises raisons, ont rapidement le sentiment de ne pas être à leur place et s’en vont très vite.
La cellule de base de la franc-maçonnerie est la loge, organisée en association loi 1901, comptant de 12 à 60 frères, installée dans une ville qui constitue son « Orient » (ex : loge X, à l’Orient de Y) et affiliée à une fédération de loges qui constitue une Obédience ou une Fédération de loges. Il y a en France environ 175 000 frères et sœurs, dans environ 3 500 loges regroupées dans une trentaine d’obédiences dont 7 comptent plus de 4 000 membres.
Les loges organisent leurs tenues solennelles sous la conduite d’un président qu’on appelle Vénérable Maître, dans un temple qui abrite et constitue la loge. Trois piliers soutiennent celle-ci : le Vénérable Maître à l’Orient qui représente la Sagesse, le Premier Surveillant à l’Occident, la Force, et le Second Surveillant, au midi, la Beauté et l’Harmonie. Trois grandes Lumières sont nécessaires : le Volume de la Sainte Loi ou de la Loi Sacrée (qui dirige notre foi), l’Equerre (qui guide nos actions) et le Compas (qui nous trace les limites à notre conduite).
On peut distinguer la maçonnerie dite « symbolique » qui est celle de la loge de base et qui concerne les degrés -ou grades- d’Apprenti, Compagnon et Maître, et la maçonnerie des « side-degrees » ou « degrés beyond the Craft » dans la mouvance anglo-saxonne ou des « hauts-grades » ou « degrés de perfectionnement » dans la mouvance française.
On travaille, en loge, à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers, dans une dramaturgie codifiée, utilisant des symboles et des figures mythiques issues de l’ancien testament, autour de la construction du temple de Roi Salomon. Cette trame caractérise un « rite » : une dizaine sont pratiqués en France. On peut citer le rite Ecossais Ancien et Accepté, qui comme son nom ne l’indique pas est américano-anglo-français, le Rite Emulation, anglais, les Rites d’York et Nova Scotia, américains, le Rite Ecossais Rectifié, français, le Rite Français, le Rite Standard d’Ecosse, écossais, le plus ancien, le Rite de Memphis Misraïm, le Rite Opératif de Salomon, etc.
Ces rituels, pratiqués dans un cérémonial bien réglé, par-cœur ou lu, conduisent les frères de la loge vers un esprit fraternel de groupe, de bon aloi, et les amènent à la pratique de vertus communes telles la bienfaisance, la tolérance, l’écoute, la solidarité, l’amitié fraternelle, la tempérance, la discrétion, la prudence ou la justice tout en les appelant au sens des devoirs civiques et moraux. La tenue elle-même se complète par une agape rituelle (repas fraternel) permettant aux frères de se retrouver dans la convivialité et la fraternité !
On prête à André Malraux la prophétie « le XXIème siècle sera spirituel ou ne sera pas... »
Pourquoi pensez-vous qu’en ce siècle secoué sur ses fondations, ou l’individualisme et le matérialisme sont la règle, des milliers d’hommes et de femmes passent leur soirée dans leur loge, après leur journée de travail, si ce n’est pour développer une convivialité simple et sincère, et une spiritualité non dogmatique que la société ne leur procure plus ?
PT, 21 avril 2024
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