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Maçonnerie spéculative et Kabbale.


Notre TCF Gérard Lefèvre nous invite à une réflexion sur les racines possibles de la spiritualité maçonnique. Il écrit :

Il ne serait pas inutile de fixer quelque peu nos idées sur la nature psychologique du mysticisme (recherche de l'absolu ou de Dieu à travers la contemplation ou l'extase), sur son caractère, en quelque sorte, prédominant chez les Hébreux, avant de tenter d’aborder ce vaste sujet, la Kabbale, « du côté maçonnique cela va de soi ».

Globalement, le mysticisme dans son acception profonde nous apparaît comme un mode de haute spiritualité, très fréquent dans les hommes de génie, ou même chez un groupe d’hommes spécifiquement religieux.

Bien que leurs premiers ouvrages connus datent de notre ère, les kabbalistes considèrent que le savoir ésotérique qu’ils véhiculent ne provient pas d’interprétations tardives de la Bible, mais remonte à Moïse.

En effet, celui-ci aurait reçu, en même temps que la loi écrite de la Torah qui s’adresse à tout le peuple juif, la transmission orale d’une Torah ésotérique destinée aux initiés.

Torah

Les rituels et bien des éléments du Temple maçonnique se réfèrent au Temple de Salomon, sans que cela implique que la Kabbale ait influencé la Franc-maçonnerie. Il semble difficile d’affirmer que la Kabbale telle quelle est ait une influence directe sur la Franc-maçonnerie.

Ce ne sont pas les Juifs qui ont créé la franc-maçonnerie ; ce sont les protestants, en 1721, sous la Grande maîtrise du Comte de Montagu. C’est un autre pasteur calviniste, James Anderson, qui fut chargé de la rédaction des nouvelles Constitutions maçonniques. L’ouvrage fut présenté par Montagu, sous le nom de Constitutions des Francs-maçons à son successeur le Duc de Wharton ; mais elles restent connues, dans l’historiographie maçonnique, comme les Constitutions d’Anderson. La pensée de Desaguliers inspire fortement ce texte qui paraît d’ailleurs avec sa dédicace. C’est cet écrit que la Grande Loge de Londres adoptera pour règle en 1723, fondant ainsi la Franc-maçonnerie moderne. Le protestantisme, qu’il le veuille ou non, est bien lié à la Franc-maçonnerie.

Pendant longtemps, la qualité d’israélite a été un obstacle à l’initiation. C’est seulement au convent de Wilhelmsbad (juillet 1782) qu’il fut décidé qu’une loge n’aurait pas le droit de refuser d’initier un Juif pour le seul motif de son origine juive. D’abord parce que les Juifs ne furent admis dans les loges que tardivement et en tout cas après la formation de la F.M. spéculative, laquelle hérita d’un corpus spirituel et philosophique déjà formé, ensuite pour cette raison que nul ne peut pénétrer la Kabbale sérieusement sans un bagage religieux et linguistique adéquat hors ce n’était pas le cas de la majorité des maçons du XVIIIe siècle, ni la mienne...à ce jour.

Alors comment les maçons sont-ils entrés en contact avec la Kabbale ?


Par la Kabbale chrétienne (parfois nommée Kabbale de la Renaissance, ou Kabbale philosophique, est un courant philosophique chrétien inauguré par Pic de la Mirandole au XVe siècle et qui consiste à adapter les techniques d'interprétation kabbalistique au christianisme en général et au Nouveau Testament en particulier.)

Bien entendu, des chrétiens, des humanistes de la Renaissance ont importé la Kabbale que l’on a revisitée à partir du XVe siècle, les Italiens Jean Pic de la Mirandole, Paul Ricci un Juif converti, le français Guillaume Postel traducteur du Zohar (Le Sepher ha-Zohar — Livre de la Splendeur —. Aussi appelé Zohar זֹהַר), cet ouvrage est l'œuvre maîtresse de la Kabbale, rédigée en araméen. Les humanistes de la Renaissance s’en servent à des fins apologétiques pour tenter de prouver la véracité de la seule religion chrétienne et partant pour convaincre les Juifs de la nécessité de se convertir.

Ainsi tentent-ils de prouver par le jeu des valeurs numériques des lettres hébraïques que le Christ est bien le Messie. On se trouve manifestement ici devant des lectures de la Kabbale qui tiennent davantage d’une tentative de récupération que d’une exégèse authentique.

De nombreuses exploitations de la Kabbale par des traditions qui lui sont étrangères vont se faire jour. Dès le Siècle des Lumières, elle commence à sentir le souffre, le XIXe siècle la tient pour un vestige de l’obscurantisme, certains ésotéristes s’en emparent sous sa forme chrétienne principalement pour l’intégrer dans leur construction hasardeuse d’un occultisme de bazar ou se mêlent, magie, tarot, spiritisme et divination.

C’est ainsi que le 13 mai 1868 se tient sans doute la première réunion maçonnique à Jérusalem, dans la grotte de Sédécias (Roi de Juda) située près de la porte de Damas et dont l’entrée ne fut découverte qu’en 1852. Cette caverne - située à l’emplacement des fondations du Temple -, on la connaît sous le nom des « Carrières du Roi Salomon »... La première loge maçonnique implantée sur le territoire d’Israël est donc celle du Roi Salomon, reconnue en 1873 par la Grande Loge du Canada.

A l’époque du roi Salomon, il y avait beaucoup de temples disséminés dans les royaumes du Proche-Orient. Ils sont tous tombés dans l’oubli, sauf le Temple de Salomon.

Ce qui le différencie des autres ne consiste pas que dans la consécration du Dieu unique, mais aussi dans la présence de ce Dieu à l’intérieur du Temple. C’est ce qu’on appelle la Shekinah (est un mot féminin hébraïque signifiant Présence divine, utilisé pour désigner la présence de Dieu parmi son peuple, le peuple d'Israël ou l'immanence divine dans le monde, particulièrement dans le Temple de Jérusalem). Cela ne signifie pas que Dieu est absent du reste du monde.



Il est présent partout à des degrés divers, une conception à distinguer de celle de Spinoza selon lequel Dieu et la nature se confondent. Il est donc « un peu plus » présent à l’intérieur du Temple, dans le Saint des Saints qui contient l’Arche d’alliance. La destruction du Temple et la perte de l’Arche ont été une grande catastrophe. Le Temple de Dieu a disparu et avec lui sa présence de plus grande intensité.

Le Temple maçonnique représente-t-il une tentative de le faire revenir ?



Il y a plusieurs différences entre le Temple de Salomon et le temple maçonnique. Le premier est un temple unique qui est fermé au public. Après la dévastation de Jérusalem par les armées de Titus, en 70 ap. J.C., les Hébreux priaient dans les synagogues, devenus lieux à la fois, cultuels et culrturels. Les temples maçonniques sont multiples et servent à accomplir des rites en présence des Frères. Aucune trace d’Arche d’alliance dans ces temples. Ils ne sont pas le Temple de Dieu, mais les Temples de l’Homme.

Le monde subsiste et le Franc-maçon est en première ligne pour tenter de regagner le bon chemin en vue d’obtenir le retour de la Shekinah.

A cette fin, il utilise les outils des bâtisseurs comme symboles de la remontée et il se met « hors du temps », car au bout du compte, notre nature divine se découvre à l’intérieur de nous-mêmes, elle est tout simplement là et il suffit de la chercher. Elle dévoile l’unité du monde dans le moment présent et la compréhension d’être Un avec le Grand Architecte de l’Univers lui-même, « lequel est plus grand que tous les mondes ensemble ». Le temple maçonnique est sacré par le fait qu’il devient le lieu de rencontre entre l’homme et la divinité.



Pour le Franc-maçon, le Temple c’est lui-même. Il est dans le temple physique pour construire son propre temple spirituel. Du point de vue kabbalistique, le Temple contient les dix émanations de Dieu qui ont surgi au moment de la création, et que l’on appelle Sephiroth (en hébreu ספירות sont dix puissances créatrices énumérées par la Kabbale dans son approche mystique du mystère de la Création).

Ces émanations figurent l’Homme Primordial, et leur complétude confirme que le Temple représente l’Homme. Chacune d’entre elles correspond à une qualité essentielle : couronne (Lumière), sagesse, intelligence, amour (Grâce), rigueur (Justice), beauté, victoire, gloire, fondation, royaume (Terre).



En général, les Sephiroth sont dessinées sous forme de sphères parcourant trois colonnes, car elles se rapportent à ce qui est appelé l’Arbre de vie. Les deux colonnes latérales se rapportent aux colonnes J et B du Temple maçonnique. Yakin signifie « il établira » et Boaz « en lui la force ». Comment comprendre ces épigrammes ? En s’inspirant d’indications bibliques : « En Lui (Dieu) est la puissance dont le roi se réjouit » (Ps 21, 3). Les colonnes sont à l’intérieur du Temple, car c’est à l’Homme, qui se situe entre elles, de réaliser l’harmonie entre rigueur et amour.

Selon certains auteurs, elles symbolisent la dualité. Afin de trancher cette question, penchons-nous sur la présentation des colonnes du Temple de Salomon : A l’origine, elles ont été érigées selon un ancien procédé d’observation pour déterminer les temps importants de l’année. Les colonnes avaient donc pour fonction l’observation astronomique, tout en intégrant la signification traditionnelle de ce qui deviendra les Saint-Jean dans nos rituels.

Sur le plan ésotérique, nous avons affaire à une présentation ternaire et non pas dualiste. La ligne du milieu traverse le Temple, le pavé mosaïque, l’autel sur lequel se trouve les trois Lumières, mais aussi, du point de vue kabbalistique, Daath (Sagesse (Hokhmah – חָכְמָה), Intelligence (Binah – בוּנָה) et Connaissance (Da’ath – דַעַת) sont les trois concepts majeurs de la pensée kabbalistique) qui, sans faire partie des Sephiroth, prend une place sur leur arbre et désigne la Connaissance. En poussant la ligne jusqu’au bout, nous rencontrons le Vénérable en Chaire pour finir avec le Delta lumineux.

Si la Pierre Brute qu’on a affecté à l’apprenti n’est guère facile à tailler, il va s’atteler à la tâche avec ardeur, croyant qu’en la travaillant il va atteindre le but suprême ; et même en s’améliorant, il n’aboutira qu’à une grande autosatisfaction vis-à-vis de lui-même, et il aura construit un monument à son « ego ». Cette pierre est la Schetiyah, la Pierre Fondamentale, celle qui fut posée lors de la fondation du Monde, la pierre assurant le lien de père en fils.

L’Apprenti est cette pierre prélevée du monde profane pour le faire monter vers la clef de voûte. Elle n’a rien à voir avec le « moi », ou la personnalité égotique et psychologique de l’individu, elle est le « Soi », par lequel on dépasse tout égocentrisme pour s’unir aux autres.

L’Apprenti Franc-maçon doit monter de la Terre à la Voûte étoilée pour devenir lui-même, ce dernier se joint alors, aux chandelles des trois piliers, Sagesse, Force, Beauté, de l’union de la mèche masculine active ; et de la cire féminine passive nait cette flamme qui, en se résorbant dans l’invisible, fait naître l’esprit qui remonte vers la Lumière des hauteurs, la Yekhidah.

« La Yekhidah ou Yehidah est une autre âme, la cinquième. D'abord on incarne les trois âmes Nephesh, Rouach et Neshamah. Mais les deux autres âmes, Chaiah et Yehidah, ne s'incarnent pas en nous, au lieu de cela, elles nous avalent. Et c'est pourquoi la plupart des rituels des temps anciens disaient que le Seigneur ne mange pas d'ordures, cela signifie que nous devons nous purifier et être dignes d'être avalés par Dieu, c'est-à-dire d'être emmenés comme Hénoch au ciel.


L’absence de dogme ou l’adogmatisme.



La Franc- maçonnerie ne propose ni n’impose aucun dogme. Elle a même érigé en dogme cette aversion pour le dogme ! La Franc-maçonnerie, outre le Rite Écossais Rectifié qui est fondé sur une doctrine proche de la vision kabbaliste, n’a pas de doctrines, elle n’est qu’une méthode d’appréhension de soi et du monde. Elle n’est en rien théologique. Elle se contente de favoriser le cheminement et la réflexion personnels, au départ de l’initiation. Elle veut faire de l’initié un nouvel homme, même si elle n’y parvient pas toujours... Le judaïsme n’a pas plus de dogmes. La Torah n’est pas un traité théologique, elle relate seulement des expériences religieuses. C’est encore Alexandre Safran ( grand-rabbin de Roumanie pendant la Seconde Guerre mondiale) qui écrit : « Le judaïsme ne saurait avoir de dogmes; il se propose de connaître la volonté de Dieu, et non sa nature; il n’impose donc pas aux croyants de vérité ni de foi toute faite; il encourage la recherche personnelle de la foi. »


Le grand kabbaliste A.D. Grad écrivait que « la Voie maçonnique se trouve fondée en Kabbale » puisque son symbolisme emprunte d'abord et essentiellement à celle-ci.

Ainsi, le Temple de Salomon régit toute la Maçonnerie bleue (celle des trois premiers grades), où les mots sacrés, sont en hébreu. Ensuite, dans les degrés supérieurs, le chemin de l'initié, du premier au quatrième degré, est jalonné de mots hébreux qui se présentent sous forme d'énigmes à décrypter, se superposant aux symboles présents dans la loge. C'est pourquoi, en 1830, Vuillaume, lorsqu'il écrivit son Tuileur (celui qui vérifie que le Maçon qui veut entrer dans la loge connaît les mots du grade), prit soin de faire précéder les mots hébreux correspondant à chaque degré d'un alphabet hébraïque.

Comment envisager l’apport hébraïque aux rituels maçonniques ? Sous deux aspects qui méritent sans aucun doute d’être étudiés par tous les « hommes de désir » qui peuplent les loges.

Le premier est celui de la déambulation dans l’univers biblique à laquelle nous invitent nombre de grades maçonniques. En ce sens, c’est une sorte d’histoire sainte que le Maçon est invité à revivre, mais une histoire enrichie de légendes nouvelles et purement maçonniques.

L’abord pertinent de ces rituels suppose une bonne culture biblique, et singulièrement une connaissance suffisante des textes de l’Ancien Testament, de leurs sources, des courants mythiques et religieux auxquels ils ont puisé et qui les éclairent. En dernière analyse, cette culture religieuse de l’Orient ancien et particulièrement de la tradition des Hébreux forme un bagage essentiel pour l’élucidation des grades en question.

En second lieu, il faut revenir à l’une des sources majeures de la pensée maçonnique : le courant hermético-kabbalistique de la Renaissance qui, dans une audacieuse et périlleuse synthèse, a tenté de concilier la méthode kabbalistique et le message chrétien, tout en les reliant à une tradition supposée remonter aux origines du monde et trouvant ses racines dans les récits bibliques. La Kabbale chrétienne, la philosophie alchimique, la théosophie chrétienne, de Pic de la Mirandole à Bohème, s’inscrivent dans cette mouvance.


La Franc-maçonnerie, en constituant son corpus iconographique autant que philosophique, y a largement puisé.

Cette source, riche et foisonnante, ne doit pas être négligée car elle renferme, elle aussi, des clés utiles à la compréhension de nombreux aspects des rituels et du symbolisme général de la Franc-maçonnerie.

Ce n’est hélas qu’un bref état des lieux, ce n’en est pas moins aussi un programme de travail et de recherche.



GL, 06/2022.






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