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Les marques, la Marque… Des origines à maintenant.


Marques de tailleur de pierre sur la terrasse du Mont-Saint-Michel.


Notre Très Cher Frère Marc Bianchini ouvre la connaissance de cette Maçonnerie, quelque peu mystérieuse aux autres rites que ceux anglo-saxons. Issue de la Maçonnerie opérative où tout Compagnon recevait une marque pour identifier son travail. cette forme de Maçonnerie ne manque pas de charme ni de profondeur. Il écrit :

Il est un degré bien spécifique des Rites anglo-saxons, celui de la Marque. Il est à très forte connotation opérative et à ce titre mérite que l’on essaye de comprendre s’il y a une filiation entre la signification d’une Marque d’opératif et cette cérémonie de la Marque pratiquée par des Loges de Francs-Maçons. Il est donc nécessaire d’évoquer ces Marques dans l’histoire de la construction, ce sera la première partie de ce travail. Puis nous essayerons de comprendre l’interrelation ou pas avec le Rituel de la Marque, ce qui sera la seconde partie.


1.     Petite histoire des Marques.

 

a.     Les signes gravés sur la pierre…..ou autre.

De tous temps, les hommes ont toujours aimé les signes pour laisser leur empreinte, pour transmettre. On peut remonter à la préhistoire pour trouver des signes peints, gravés ou sculptés sur divers supports : os, pierre, ivoire, murs. On en a retrouvé en Grèce Antique ou provenant de l’époque romaine, disparaissant par la suite pour réapparaitre au Haut Moyen Age, faiblir, changer et revenir au Bas Moyen Age au début du 12ème siècle. L’apparition de ce qu’on appelle les marques lapidaires[1] des tailleurs de pierre, n’est que la suite de ce besoin d’identification, très humain et ce, en particulier, à une époque où l’homme de la construction ne savait « ni lire, ni écrire ». Vous l’avez compris nous remonterons plus particulièrement à cette époque qui nous intéresse, c’est-à-dire le Moyen Age, et en particulier, pour débuter, le Moyen Age central, c’est-à-dire de la fin du 11ème siècle au 14ème siècle. Ce choix peut sembler arbitraire mais il correspond au début de l’art Roman et par conséquent nous laisse, par l’ampleur de cette architecture, des témoignages plus nombreux mais aussi une vision plus large sur nombre de pays et presque toutes les régions de France. Il est à noter que la construction des premières abbayes du Haut Moyen Age était plutôt confiée à des gens d’Église : des convers[2] pour le travail manuel et les abbés pour la conception donc il n’était quasiment pas retrouvé de Marques. Nous verrons aussi que la tradition de « marquer » s’est perpétuée jusque très récemment.




Le sujet s’avère tellement vaste que nous essaierons de brosser une esquisse de ces signes qui ont traversé le temps. Ces marques ne nous donnent que peu ou pas de noms quant à leurs auteurs. La signature, telle que nous la connaissons aujourd’hui, n’existait pas chez ces artisans qui ne connaissait pas l’écriture ; la transmission des savoir-faire était surtout orale et seulement au sein d’une même corporation. Seuls les gens d’église, les clercs, les abbés avaient la connaissance de la lecture et de l’écriture.


b.     Quels signes ?

Ces signes n’avaient rien de hasardeux. Ils étaient assez hétérogènes et témoignaient même de différents niveaux de culture au sein même de l’artisanat. Certains étaient d’une très grande simplicité, en particulier en cette période du Moyen Age, et allèrent au fil des ans vers une plus grande complexité en faisant preuve parfois d’un goût évident pour un certain symbolisme pour arriver au 19ème siècle, par exemple, à la signature du nom du tailleur de pierre.

Il s’agissait de figures géométriques telles que des triangles, des pentagones, des croix, des lettres[3], comme des initiales de noms. Il est étonnant de constater que suivant les pays ou les régions, certaines formes se répètent souvent quand d’autres sont totalement absentes. Dans certains pays (Ecosse, Royaume Uni) on ne trouve que des lignes brisées quand dans d’autres régions, on retrouve aussi des lignes courbes. Cela dépend aussi des époques et ce qui était valable pour l’Ecosse, l’Allemagne, l’Italie ne l’était pas forcément pour la Bourgogne, l’Alsace, l’Aquitaine ou la Provence pour la France.                                             

Marques identitaires de tailleurs de pierre.


Ces Marques n’étaient d’ailleurs pas toujours l’œuvre d’une seule personne et pas forcément d’un tailleur de pierre. Il pouvait s’agir d’un groupe de travail mais aussi du Maitre d’une carrière ainsi que d’un architecte. Dans tous les cas, ces signes étaient le plus souvent identitaires. On a aussi retrouvé des Marques chez les charpentiers.


c.     Types de Marques.

a.     Marques de positionnement ou utilitaires.

Elles n’ont rien à voir avec l’identité mais étaient un moyen de transmission des consignes entre le tailleur de pierre et le maçon, le poseur. C’était une sorte de traçabilité de la pierre, terme bien de notre époque. On pouvait identifier la provenance, mais aussi le sens de pose, l’orientation, l’ordre de pose pour les voûtes etc. Ces marques sont actuellement et la plupart du temps invisibles car noyées dans l’ouvrage et n’apparaissent souvent que lors de démolitions ou étaient effacées en arrivant sur le chantier pour la taille finale.

Elles étaient simplement tracées soit avec un crayon, une mine de plomb ou griffée avec la pointe d’un outil et pouvaient représenter un simple trait orienté, une flèche ou des chiffres romains, par exemple pour les claveaux d’une voûte.


b.     Marques identitaires.

Elles sont visibles sur les parements des pierres, mais pas toujours car parfois recouvertes d‘enduit. Elles identifiaient donc l’artisan (en terme de responsabilité) en servant aussi de preuve pour être rémunéré, rémunération le plus souvent à la tâche[4], mais aussi d’« anti vol », l’usurpation d’identité existant déjà à l’époque !! On a pu retracer le parcours et les voyages de ces compagnons par le biais des Marques laissés sur les différents ouvrages auxquels ils participèrent.

Différents types de Marque au travers de l’Europe.

 

Mais alors, quel est le point de jonction entre cette « historiette » des Marques et le Rituel de la Marque tel que pratiqué en Franc-Maçonnerie actuellement ?

 

2.     Petite histoire de la Marque.

Essayons maintenant de faire une transition entre ces Marques d’opératifs médiévaux et ces Marques de spéculatifs de la Renaissance pour arriver à l’apparition de la Marque actuelle.

En Ecosse, il est de tradition d’initier un candidat en automne, de le passer en hiver, de l’élever au printemps et de lui proposer de déposer sa Marque en Mai. Tout l’apprentissage maçonnique se fait donc en une année, sans planche, en donnant au maçon et avec l’aide de ses Frères, tous les outils propres à l’élaboration de son chemin personnel. Cet apprentissage se fait par la connaissance du rituel par cœur, telle que présenté dans ses Statuts par William Schaw (1598 et surtout 1599) en adéquation avec l’Art de la Mémoire sur lequel était évalué un candidat au degré d’apprenti entré et de compagnon du métier. Il est question également dans ces mêmes Statuts d’une présentation de la Marque par le maçon. Si de nombreuses Marques d’opératifs de l’époque en Ecosse nous sont connus grâce à l’étude des procès-verbaux de Loge de l’époque[5], une des premières et peut être la connue d’un maçon spéculatif, fut celle de Robert Moray.

Ecossais, catholique, intellectuel, il fut initié au sein de Mary’s Chapel. Nous sommes en 1641 et beaucoup d’érudits de la Renaissance se découvrent un attrait puissant, pour l’ésotérisme, l’hermétisme, les préceptes des traditions antiques et de la Rose Croix. Il fit de son symbole personnel, le pentacle, sa Marque de Maçon. Il transforma cette étoile à cinq branches en une signature symbolique en y ajoutant 5 lettres formant le mot AGAPA. Cette idée marque une étape entre un simple signe d’identification d’un maçon opératif et la volonté d’exprimer au travers d’une Marque, le symbolisme des vertus attachées à cette même Marque. Même si Robert Moray ne fut pas le premier spéculatif, il marque une étape dans la pénétration des idéaux de la Renaissance, vers les Loges opératives. Ces nouveaux maçons spéculatifs arrivant dans les Loges écossaises du 17ème siècle, étaient invités à déposer une Marque comme leurs Frères opératifs.

 


Marque de Robert Moray


Il existe donc bien des Marques des premiers maçons spéculatifs mais quid du degré de la Marque ?

Comme pour de nombreux degrés maçonniques, l’origine et la datation sont souvent très mal connues. Il en va de même pour le degré de la Marque. Certes de nombreux documents tant écossais qu’anglais attestent des présentations de Marques mais aucun rituel n’est avéré ni connu.

La maçonnerie anglaise, depuis son unification en 1813 entre Modernes et Anciens, avait pour précepte que « la pure et ancienne maçonnerie consiste exclusivement en trois degrés, apprenti, compagnon et maitre ainsi que le sublime degré de l’Arche Royale mais cet article n’est pas prévu pour empêcher une loge ou un chapitre de pratiquer tout grade de la chevalerie » …. La G.L.U.A[6]. a beaucoup de mal, ainsi que nombre « d’historiens » anglais, à admettre que l’histoire de la maçonnerie britannique a des liens étroits avec l’Ecosse et pour cause quand on connait tout ce qui a opposé ces deux nations au travers des siècles. Dans les années qui suivirent, ni la Grande Loge ni le Chapitre de l’Arche Royale ne mirent en application la fin du précepte ci-dessus et la Marque fut quasiment oubliée du moins en Angleterre !!!

La Marque, entre 1817 et 1850, ne pouvait donc que disparaitre ou exister « à côté ». C’est ce qui arriva par la suite avec la création d’un Grande Loge des Maitres Maçons de Marque, qui existe toujours, ce qui donne également l’expression « Side Degrees » pour la Marque anglaise et autres degrés.

Avant cette époque, on pratiquait sûrement tant en Ecosse qu’en Angleterre, une « cérémonie » d’attribution de ce degré mais sans précision aucune. Tout au moins la présentation de sa Marque en Ecosse se perpétua mais sans trace d’un rituel dédié.

L’Arche Royale, elle, se pratiquait au sein de Chapitres en dehors des attributions des Grandes Loges. Mais en Ecosse, la Marque était pratiquée dans les Chapitres d’Arche Royale et était un prérequis pour y entrer. Il l’est toujours. Mais suite à des évènements troubles et incertains (c’est aussi cela l’histoire de la Maçonnerie !), la Marque fut et est aussi pratiquée en Ecosse au sein des Loges du Craft[7]. On peut considérer qu’elle est un « intermédiaire » entre Compagnon et Maitre et, sans rien dévoiler, une partie, celle de Compagnon détermine un Maçon de Marque, l’autre partie, celle de Maitre, déterminant un Maitre Maçon de Marque. Elle est actuellement attribuée après la Maitrise. Tout en faisant partie (ou non) des degrés du Craft, elle permet l’accès aux premiers degrés « Beyond the Craft » du Chapitre « au-delà du Métier » et non « à côté ».

Au milieu du 19ème siècle, un chapitre d’Aberdeen accorda des patentes à des Loges anglaises, sans l’accord du Suprême Grand Chapitre d’Ecosse qui les déclara quelques années plus tard illégales. Puis la G.L.U.A. et l’Arche Royale anglaise décidèrent de rejeter définitivement la Marque. Déçus par ces décisions, de nombreux maçons londoniens demandèrent directement au Suprême Grand Chapitre d’Ecosse la création d’une Loge sous l’autorité de celui-ci, ce qui fut accepté non sans provoquer dans les années qui suivirent, de nombreux troubles dans les rapports anglo-écossais des hautes sphères maçonniques !!!

Pour finir et dans la pratique, cette cérémonie garde une réelle imprégnation opérative comme les deux premiers degrés et procède toujours de la construction du Temple de Salomon. Elle peut être pratiquée, comme à la G.L.I.F., en Loge de Métier, mais peut également être pratiquée au sein d’un Chapitre souché sur la même Loge. Elle se positionne de manière assez pédagogique dans la chronologie de la maçonnerie salomonienne pour une meilleure compréhension du parcours d’un frère du Standard d’Ecosse.


MB, 05/2024


[1] La glyptographie, partie récente de l’histoire et de l’archéologie, est l’étude des gravures sur pierre.

[2] Dans la première Église, moine entré en religion à l’âge adulte, dévolu à des tâches manuelles.

[3] Certains y virent des alphabets secrets !!!

[4] D’où le nom également de Marques de « tâcherons ».

[5] « Les origines de la Franc Maçonnerie, Le siècle écossais », Davis Stevenson, Ed. Télètes Paris 1993.

[6] Grande Loge Unie d’Angleterre.

[7] Ou Loge symbolique ou Loge de Métier ; les loges dites bleues sur le continent.

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