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Le Rite Français et la Bible.


Notre Très Cher Frère Gérard Lefèvre ouvre, avec ce texte, une question délicate qui fait toujours débat historiquement. Il écrit :


Le Rite Français et la Bible, voilà un sujet intéressant mais complexe. Complexe tout d’abord parce que c’est une question compliquée à traiter sur le plan de la méthode, complexe ensuite parce que, bien sûr, les conclusions d’une telle démarche peuvent entraîner des conséquences sur notre conception du Rite Français.

Une lecture attentive de la Bible conduit à y relever nombre d’invraisemblances, d’erreurs et de contradictions, ces œuvres intégralement humaines sont en tait les versions Écrites de courants indépendants, entraînant des contradictions flagrantes, en plus d’invraisemblances placées sous le sceau de la divinité.

Il est donc présomptueux et même erroné de les considérer comme fondateurs d’une Loi morale révélée.

Comment, en effet, concilier des prescriptions aussi antagonistes que celles-ci : « Les fils ne seront pas mis à mort pour les fautes de leurs pères » (Deut., XXIV, 16) et « Je suis Yahweh, qui punis l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et à la quatrième génération » (Ex., XX, 5 et XXXIV, 7) ? Comment Dieu aurait-il pu se contredire aussi radicalement sur un point aussi grave ?

Ainsi : Dieu peut-il être vu ? NON : « L'Éternel dit : Tu ne pourras pas voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre. » [Exode 33.20]

OUI : « Jacob appela ce lieu du nom de Peniel : car, dit-il, j'ai vu Dieu face à face, et mon âme a été sauvée. » [Genèse 32.30]

La Lutte de Jacob avec l'Ange à Penouel, par Eugène Delacroix.


’Penouel — Face de Dieu, est un lieu non loin de Souccot, à l'est du Jourdain et au nord du Jabbok. Il est aussi appelé Peniel ou Penuel, signifiant "J'ai vu un être divin face à face’

Dès les premières pages de la bible, on trouve deux versions différentes de la création d’Ève, dans la première, elle est créée aussitôt après Adam ; dans la seconde, elle n’est créée qu’après une période indéterminée, comme « aide » du premier homme.

Tout ceci est souvent dues à la maladresse des copistes ou à l’ignorance des traducteurs.

Il est difficile d'affirmer que la Bible ait figuré dans le matériel des loges opératives anglaises avant la réforme, au moins d’après ce que nous permettent de saisir les « Old charges ». En revanche, nous savons qu'on y prêtait serment, ce qui n'a rien d'original, puisque le « métier juré » (1) était un peu partout la règle. Le fait est que les premiers documents, le Régius (1370) et le Cooke (1420) sont parfaitement silencieux.

Aussi aucune hypothèse n'est à exclure : la Bible lorsqu’on pouvait s'en procurer une, avant le développement de l'imprimerie n'était pas si aisé. De toute façon, le serment avait un caractère religieux qu’il a conservé, sauf dans la Maçonnerie « sécularisée ».

Les documents plus récents, mais aussi postérieurs à la réforme, sont plus explicites et le serment sur la Bible est, le plus souvent, affirmé par le « grand Loge manuscrit » n°1(1573) et le « Manuscrit d’Edimbourg » (1696). Je cite, On leur fait prendre la Bible et prêter serment et le postulant jure sur le livre saint par « Dieu et Saint Jean » On peut donc admettre que, depuis la réforme, le serment sur la Bible était devenu la règle, ce qui faisait dire à l'historien Français A. Lantoine que c'était là un « landmark de contrebande huguenote » Mot amusant, mais indiscutablement exagéré.

Cette constatation ne doit pas nous faire perdre de vue la parfaite orthodoxie catholique d'abord, anglicane ensuite, des « Old Charges ».

Les rapports du Rite Français et de la Bible au XVIIIe siècle pourraient donc ne pas être un enjeu purement conventionnel. La question est aussi difficile sur le plan de la méthode.

Doit-on considérer comme Rite Français la pratique maçonnique du XVIIIe siècle en France ? où va-t-on se concentrer sur la version adoptée par le Grand Orient en 1785 et connue sous le nom de Régulateur du Maçon ?

Pour mieux cerner les relations du Rite Français avec la Bible, par définition, nous appellerons « Rite Français du XVIIIe siècle » les usages des Loges françaises entre 1740 et 1780, c’est-à-dire ce « Rite des Modernes » importé en France par les Anglais dans les années 1720.

À ses origines, le Rite Français du XVIIIe siècle entretient donc des liens étroits avec la Bible et met en œuvre un rituel marqué par une atmosphère religieuse. Mais la codification élaborée en 1785 par l’équipe qui travaille autour de Roëttiers de Montaleau, au sein du Grand Orient puis du Grand Chapitre, en présente une version fortement laïcisée. Presque toutes les références bibliques ou les connotations religieuses, abondantes dans les textes originaux, en ont été estompées.

Si, par leur date de rédaction, Le Régulateur du Maçon et Le Régulateur des Chevaliers Maçons sont des textes du XVIIIe siècle, par leur esprit, ils annoncent les rituels du XIXe siècle. Les circonstances de leur fixation leur donnent un double caractère.

D’un côté, ils restent fidèles aux cérémonies d’une première Maçonnerie française très marquée par les références bibliques, mais, de l’autre, ils ont estompé dans le texte même du rituel les citations ou les références ostensibles à « l’Écriture Sainte ».

C’est cet équilibre entre tradition et modernité, cette laïcité biblique – ou cette « biblicité laïque » pour ceux qui ne souhaitent pas apposer d’adjectif au mot laïcité ! – qui fait, à mon sens, la richesse et l’intérêt du Rite Français.

En France, la Bible a connu des sorts différents. Les documents les plus anciens que nous possédions témoignent d'une grande religiosité, d'orientation quelque peu janséniste (est une doctrine théologique à l'origine d'un mouvement religieux, puis politique et philosophique), qui se développe aux XVII et XVIII siècles, et nous savons, par les textes d'origine pseudo policière, que la Bible était ouverte au premier chapitre de l'Evangile de Jean.

Tradition qui s'est parfaitement conservée au Rite Français et Rite Rectifié, d'inspiration nettement plus chrétienne.

Mais, en pays catholique, la Bible n'est pas, comme en Angleterre, la nourriture spirituelle de la majorité des citoyens, d'autant mieux que le concile de Trente en avait limité les possibilités de lecture pour les simples fidèles.

Par ailleurs il est important d’insister sur le fait que, jusqu’au XVIIème siècle, le Dieu des maçons est explicitement celui de la Bible : quand on parle de Grand Architecte, on se concentre sur une des fonctions du Dieu de la Bible, celle de l’architecture.

En effet, la maçonnerie post-Anderson est ouverte au libre examen de ce concept. Pourtant, il n’en fut rien dans la maçonnerie pré-Anderson.

Jusqu’au XVIIème siècle, le Dieu des maçons est explicitement le Dieu de la Bible : quand on parle de Grand Architecte, on ne définit pas un Dieu d’une autre nature, mais on isole, on focalise, on se concentre de manière prioritaire, sur un attribut particulier, une fonction propre, un caractère spécifique du Dieu de la Bible, à savoir celui de l’architecture.


Aussi, tout en conservant une expression religieuse sous la forme du Grand Architecte, qui ne sera remise en question qu'en 1877, la Maçonnerie française, dans son expression majoritaire, la Grande Loge, puis le Grand-Orient, vit disparaître lentement le livre de l’ « outillage des Loges » dès le milieu du siècle. Lorsque, dans les textes d'unification du Rite français de 1785 - 1786, le « Livre des Constitutions » prit place, à côté de l'équerre et du compas, sur la table du Vénérable, il n'y eut aucune protestation et même les Anglais ne s'en formalisèrent pas.


« Il est à noter que dans les années 1745, d'après le Secret des Francs-Maçons de l'abbé Pérau, le postulant s'agenouillait, le genou droit découvert, la gorge mise à nu, un compas sur la mamelle gauche et la main droite sur l'Evangile, « en présence du Dieu tout-puissant et de cette société ». A noter que le Rite français de 1785 prescrit le serment « sur les statuts généraux de l'Ordre, sur ce glaive symbole de l'honneur et devant le Grand Architecte de l'Univers (qui est Dieu) » ».



L'Ordre de Francs-Maçons Trahi et le secret des mopses révélé, écrit en 1744 par l'abbé Pérau.


Alors, comment, interpréter une certaine position philosophique par rapport à notre rituel ?

Je ne considère pas cela comme un problème de croyance, mais plutôt comme une question de logique technologique.

J'apprécie l'esthétique que les rituels traditionnels offrent. C'est aussi bête que de regarder une église romane, et ma faiblesse, c'est que je préfère une église romane à certaines architectures modernes. Il n’y a pas d’éléments de croyances, c’est du bon théâtre. En loge, ce que je souhaite, c'est une sorte d’émotion esthétique qui me porte vers autre chose.


(1) Les métiers jurés constituent des groupements professionnels autonomes avec personnalité juridique propre et discipline collective stricte, composés de membres égaux, unis par un serment (d'où les mots de métier juré et de jurande). L'apogée des métiers se situe au XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle. (Wikipédia)


GL, 05/2023

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