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    Le Rite du Mot de Maçon : l’ancêtre de nos rituels de nos rituels ?

    • Photo du rédacteur: ITER
      ITER
    • 7 sept.
    • 8 min de lecture
    La Loge Kilwinning n° 0, où aurait été créée "Mot du Maçon", entre 1628 et 1637
    La Loge Kilwinning n° 0, où aurait été créée "Mot du Maçon", entre 1628 et 1637

    Notre BAF Mac B. nous propose une étude sur l’origine de la Franc-maçonnerie spéculative à la faveur de l’examen de sa base primitive : Le Mot du Maçon (« Mason Word »).

    Après avoir donné la poignée de main ou attouchement lors de l’initiation, le VM demande :

    -       Qu’est ceci ?

    -       L’attouchement de reconnaissance ou poignée de main de l’apprenti

    -       Qu’exige-t-il ?

    -       Un Mot

    -       Donnez-moi ce Mot

    -       Etc……… et ce jusqu’à transmission du Mot d’apprenti.

    Ces quelques lignes sont lues lors de l’initiation au Rite Standard d’Ecosse mais se retrouvent sous des formes approchantes dans d’autres Rites. Elles ont une origine et ne sont pas apparues dans notre maçonnerie spéculative, ex nihilo, et ont pour but l’identification.

    Ce même protocole est effectué lors des degrés suivants. On touche là aux prémices de ce que fut et sera pour l’éternité, un des piliers de la Franc- Maçonnerie : le Mot de Maçon. Quel que soit le degré en loge symbolique ou au Chapitre, le même rituel est répété sans cesse. Oui, il s’agit bien d’un vrai rituel à part entière, d’un rituel de reconnaissance.

    Cette histoire débute en Ecosse. La datation exacte de la naissance du Mot de Maçon est un peu floue, sa signification initiale étant entourée de mystères. Diverses archives retrouvées çà et là en Ecosse ou en Angleterre, nous mettent sur la piste. Nous sommes entre le 16ème et le 17ème siècle et l’on sait déjà que William Schaw[1] dans ses Statuts l’évoque simultanément à l’acquisition de l’Art de la Mémoire[2]. On parle là du plus ancien rituel connu et publié dans le cadre de la future maçonnerie spéculative.


    William Schaw
    William Schaw


    Ce Mot de Maçon pose les bases des rituels dits d’identification ou d’admission et est reproduit dans « Edinburgh Register House Manuscript MS. 1696» . Sa datation la plus probable serait de 1637. La première partie de ces rituels, comme nous l’avons vu, servait surtout à la reconnaissance réciproque des maçons. Cela se faisait par un jeu de questions-réponses entre l’interrogateur et le candidat. La deuxième partie donne le déroulement de la cérémonie d’« admission » de l’époque, cérémonie elle-même très simple et bien loin de nos rituels contemporains plus alambiqués et où était transmis le Mot. Ce manuscrit était sous-titré : « Quelques questions que les francs-maçons ont l’habitude de poser à ceux qui professent avoir le Mot avant de les reconnaitre »[3].

    Q : Etes-vous maçon ?

    R : Oui

    Q : Comment le connaitrai-je ?

    R : Vous le connaitrez en temps et lieu convenables etc…


    En Ecosse, en cette fin de 17ème et début de 18ème siècle, une augmentation très marquée de l’entrée des non-opératifs dans les Loges Schaw peut expliquer ces rituels couchés par écrit quand jusqu’alors ils n’étaient transmis qu’oralement. Ils concernaient aussi bien l’Entered Apprentice que le Fellow Craft[4]. On sait déjà que William Schaw dans ses Statuts en parlait simultanément à l’acquisition de l’Art de la Mémoire.


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    Tableau de Loge de Kirkwall[5] (Orcades, Ecosse) du XVème siècle.


    L’apparition du terme Mot de Maçon ne s’est pas faite par le truchement des maçons eux-mêmes, mais par l’intermédiaire de personnes de la société civile, d’écrits publiés, de divulgations. La première fois il était associé aux idées de Rose Croix[6], d’invisibilité et de « double vue ». Une part de mystère, de mysticisme, d’ésotérisme et d’interdit religieux accompagnait tout cela ; nous étions aux alentours de 1650. La Scots Kirk[7] presbytérienne qui dirigeait la pensée religieuse et le pouvoir en Ecosse, veillait à l’application rigoureuse et rétrograde d’une grande discipline, en rapport au mode de pensée presbytérien[8]. Mais doucement, ils furent convaincus (on ne sait comment !!) que le mystère lié au Mot de Maçon n’intercédait en rien dans la croyance presbytérienne. Il est d’ailleurs possible que le rituel du Mot du Maçon ait une origine calviniste presbytérienne et ait été mis en place à l’origine à la demande de William Schaw par la Loge de Kilwinning[9], ceci pouvant expliquer cela. D’ailleurs, de nombreux bruits, disaient que depuis des temps immémoriaux de l’église d’Ecosse, nombreux parmi ceux qui en faisaient partie possédaient le Mot de maçon et là, nous sommes aux environs de l’an 1600. Cette église avait essayé, en vain, de détruire les Loges maçonniques et William Schaw avait réussi à la persuader que rien de religieux ne figurait dans les rituels. Certains esprits éclairés de l’époque luttaient contre l’obscurantisme du Presbytère, qui affirmait que la magie et la sorcellerie étaient la seule explication possible à tout ce qu’ils ne comprenaient pas.

    Tous finirent par comprendre enfin que le Mot de Maçon ne rendait pas invisible, mais permettait uniquement à des gens le connaissant, de se repérer entre eux. Fin du dit mystère !! On retrouva ensuite vers 1660, divers contrats faits à des apprentis, disant que le Mot de Maçon leur serait communiqué après leur entrée en Loge.

     

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    Les colonnes présentes sur un tapis de Loge d’esprit Noachite.


    La détention du Mot de Maçon faisait du nouvel entrant un homme libre de pratiquer le Métier en compagnie d’autres Maçons possédant également le Mot et ayant reçu le rituel d’initiation.

    La révélation des mots secrets était le point le plus important du rituel. Et la forme du mot prenait bien sa source dans la Bible où il est question du Verbe, principe divin qui devait guider le maçon sur son chemin. En faisant référence au Verbe et appelant simplement leurs secrets, Mot de Maçon, les maçons faisaient appel à une forte connotation de vérité suprême et de mystères.

    Comme nous venons de le voir, les premiers rituels d’instruction sont bien antérieurs aux premières versions qui furent éditées à Londres autour de 1720. Le Register House Manuscript est daté de 1696. Ce rituel se compose de deux parties : une première avec questions réponses s’assurant de l’identité de l’autre par l’utilisation de mots secrets, une deuxième étant la cérémonie d’initiation.


    Deux autres manuscrits, contemporains du Register House comme le Chetwode Crawley et le Kevan, semblent tous trois issus, par de nombreuses similitudes, d’un même original perdu. On ne connait pas non plus l’origine de leur histoire. On commença donc à utiliser des instructions écrites à la demande même de certaines Loges comme à Aberdeen en 1699. Deux autres manuscrits, le Sloane et le Dumfries n°4 sont postérieurs et donnent un peu plus de détails sur les cérémonies. Le Sloane est Ecossais mais montre une petite influence anglaise et le Dumfries n°4 augure déjà, début XVIIIème siècle, de ce que sera cérémonie et symbolisme plutôt que pratiques ancestrales.

    Ce qui suit, représente les prémices, la base de ce que seront les rituels maçonniques ultérieurs. On y reconnaitra ce qui est vécu lors des cérémonies d’initiation.

    Le candidat devait s’agenouiller ; il était menacé d’être exécuté, à grands renforts de peur et d’humiliation s’il révélait la moindre parcelle de ce qu’il verrait ou entendrait. Il prêtait serment de ne rien dévoiler, graver, décrire, tracer, dire à tout profane. Puis il était accompagné à l’extérieur où le dernier apprenti entré lui enseignait les mots et les signes. Il se présentait lors de son retour et faisait le signe pénal, c'est-à-dire montrait que l. g.e lui serait c.e. Puis le Mot circulait de l’un à l’autre et le Maitre de la Loge le donnait au nouvel apprenti entré. Cela faisait de lui un membre de la Loge.


    S’il s’agissait de passer au rang de compagnon, la cérémonie se déroulait de la même façon, avec de nouveaux mots, de nouveaux signes et les éléments de peur et d’humiliation liés à l’initiation étaient absents.

    Ces éléments liés à la peur, l’humiliation etc., toujours présents dans certains rites, sont inexistants au RSE. Il n’en est pas moins vrai que l’on retrouve cette manière de faire dans de nombreux rites d’initiation hors maçonnerie, quels que soient le lieu ou l’époque ancienne. Ces rites marquaient et marquent encore le passage d’un état à un autre.

    Les thèmes de la mort et de la renaissance y étaient présents. La difficulté des épreuves soulignait l’importance du changement qui devait s’opérer sur l’impétrant et lui indiquait combien les nouveaux statuts étaient exclusifs. Ceux déjà initiés comprenaient combien ils étaient privilégiés d’appartenir au groupe et cette même initiation pour tous, permettaient de créer un solide lien entre eux. La peur et le ridicule avaient un effet important sur le plan émotionnel en augmentant la tension ressentie, ce qui avait pour effet d’ancrer ce rituel dans les esprits.


    Je ne m’étalerai pas d’avantage sur les pratiques délirantes qui suivaient ces rituels d’initiation, ce que les gens de l’époque appelaient le brothering[10]. Ce brothering alla tellement loin en termes d’humiliation, de violence et de somme à payer que les autorités firent tout ce qu’elles pouvaient pour l’interdire. Ces pratiques durèrent néanmoins fort longtemps. Il y avait aussi deux poids deux mesures entre un jeune et futur apprenti et un gentleman qui demandait l’initiation. Le rituel n’était pas « aussi dur avec lui » eut égard à son rang, ce que nous rapporte la loge de Dumfries en 1712.

    Il est plus évident qu’une sensibilité ésotérique se soit développée au 18ème siècle, mais les rituels des premières instructions sont imprégnés de symbolisme, en rapport en particulier, avec les outils. Pour les Anglais ces premiers rituels ne pouvaient pas être ceux de la franc-maçonnerie car trop simples, nus et insignifiants, les leurs (d’où venaient-ils ?)[11] étant plus « respectables et élaborés (sic dans Jones, Knoop) ». Mais il n’y a nul doute que l’influence écossaise fut très marquante, il n’y eut pas de génération spontanée. Pour preuve, on retrouve comme étant écossais :

    -        Les noms des degrés d’apprenti entré et compagnon du métier

    -        Le Mot de maçon

    -        Les méthodes secrètes d’identification avec l’instruction, les griffes, les mots

    -        Les mots secrets B..z, J..n .


    Au cours de son histoire (1636-1751), le Mot de maçon ne resta pas tel quel : les loges qui le pratiquèrent y inclurent progressivement des éléments empruntés aux Anciens devoirs anglais (comme la référence aux arts libéraux et en particulier à la géométrie) ou encore des éléments étrangers à l’iconoclasme calviniste (comme la pratique plastique des tableaux de loge qui, esquissée dans le Dumfries n° 4 de 1710, apparaît finalement dans les années 1720). C’est ce rite du Mot de maçon que pratiquait la Grande Loge de Londres qui semble l’avoir reçu du pasteur écossais et calviniste James Anderson (qui semble l’avoir lui-même reçu de son père qui était membre de la loge d’Aberdeen qui le pratiquait depuis 1699). Après 1751 ce rite servit de souche à plusieurs autres rites maçonniques qui se répandirent dans le monde entier.


    Quoiqu’il en soit, autant cet « archéorituel », nous apprend, au travers de nos rituels actuels, à tailler symboliquement notre pierre, autant il ne fut jamais un mode d’emploi pour la taille de la pierre pour les opératifs !!!!!


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    MB, 02/2025.


    [1] Maitre des travaux du Roi Jacques VI d’Ecosse.

    [2] Système antique perpétué à travers les âges et ayant pour but, la mémorisation de textes.

    [3] Sous-titre probablement dû à une divulgation.

    [4] L’apprenti entré et le Compagnon.

    [5] 1er tableau de Loge connu et reconnu par les archéologues.

    [6] La Rose Croix était très « en vogue » à l’époque et influença l’idée que l’on se faisait de la F.M. en y ajoutant du mysticisme et de la magie.

    [7] Eglise écossaise née de la Réforme écossaise de 1560 par John Knox

    [8] En particulier la Sola Scriptura : seuls les écrits bibliques font foi

    [9] La ville de Kilwinning était calviniste presbytérienne.

    [10] Sorte de « bizutage »

    [11] Merci Mr Anderson (dont le père, écossais était membre de la Loge d’Aberdeen) et Mr Desaguliers. !!!



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