Notre Très Cher Frère Thierry Mudry se propose de nous faire mieux connaître le Liban, dans l’actualité s’il en est. Sa monographie est publiée en deux temps. Voici l’introduction de sa monographie, où l’on peut noter la présence d’un Franc-maçon qui joua un rôle important dans histoire. La suite sera publiée ultérieurement. Notre Frère écrit :
En guise d’introduction :
Le Liban se trouve, une nouvelle fois, entraîné dans un conflit qui voit une armée étrangère l’envahir et détruire une partie considérable de ses infrastructures, raser des villages entiers et une partie même de sa capitale, provoquant la mort de centaines de civils et l’exode d’une grande partie de sa population, sans que ses dirigeants soient en mesure de s’y opposer puisque les protagonistes de ce conflit, Israël et le Hezbollah soutenu par l’Iran, disposent de moyens considérablement supérieurs à ceux de la petite armée libanaise.
Il est de bon ton d’avancer, dans les milieux journalistiques et politiques français, que le Liban fut la « Suisse du Moyen-Orient » et de déplorer qu’elle ne le soit plus. Il semblerait, dans l’esprit de ceux qui l’emploient, que cette expression s’applique à la période qui a précédé la terrible guerre civile de 1975-1990. Pour autant, la vision irénique de ce petit pays à l’époque indiquée semble tout à fait inappropriée.
En effet, s’il est vrai que le Liban se distinguait alors de ses voisins arabes par une relative prospérité, cette dernière était bien mal répartie, eu égard à l’existence d’une pauvreté extrême, notamment dans les régions périphériques du pays, contrastant avec l’insolente richesse des milieux d’affaires jouant le plus souvent les intermédiaires entre l’Occident et les monarchies pétrolières. S’il est vrai qu’à la différence de l’ensemble des pays arabes, les libertés publiques, et plus particulièrement la liberté d’expression, y étaient officiellement garanties dans une large mesure, la liberté de ton et le positionnement politique de certains pouvaient les condamner à la mort ou à l’exil forcé, comme le montrent les multiples attentats visant les personnalités publiques libanaises (y compris les présidents de la République, dont deux sont morts assassinés : Bachir Gemayel en 1982 et René Moawad en 1989). Enfin, la cohabitation des diverses communautés confessionnelles entre lesquelles se répartissait la population locale - cette diversité (pas moins de 19 religions, dotées chacune de son statut civil propre, y sont reconnues) étant une caractéristique libanaise - était rien moins qu’harmonieuse, chaque communauté étant par ailleurs traversée de fortes tensions internes.
Pour être complet sur ce point, il convient de préciser que le Liban, depuis son indépendance en 1943, loin d’être en paix, a connu des crises majeures et des conflits armés, outre la guerre civile ci-dessus évoquée.
Antun Saadeh – Wikipedia.
On citera, en premier lieu, l’élimination physique en juillet 1949, au terme d’un procès expéditif en l’absence d’avocat et d’instruction de l’affaire, d’Antun Saadeh, chef du parti social-nationaliste syrien (PSNS) et principal opposant au nouveau Liban fondé sur le Pacte national de 1943 répartissant les hautes fonctions de l’Etat entre les différentes confessions[1]. Libanais de religion grecque-orthodoxe et franc-maçon, Saadeh s’opposait au confessionnalisme et prônait l’intégration du Liban dans une Grande Syrie laïque. Il avait, pour pouvoir imposer ses vues, projeté un soulèvement contre les dirigeants du nouvel Etat qui avait débouché sur des affrontements armés entre ses partisans et les tenants du nationalisme libanais, les militants des Phalanges à dominante maronite. Sa mort n’entrainera pas la disparition de son mouvement qui interviendra par la suite à de nombreuses reprises dans l’histoire mouvementée du Liban (et de la Syrie)[2].
On citera ensuite la guerre civile et l’intervention militaire américaine de 1958, qui s’inscrit dans le contexte de la Guerre froide. La fin des années 1950 avait été marquée par la création du Pacte de Bagdad qui rassemblait le Royaume-Uni, la Turquie, l’Irak et la Pakistan, auxquels se joignirent les Etats-Unis en 1958. Cette alliance avait clairement pour but de constituer un cordon sanitaire sur le flanc sud de l’Union soviétique. Dans le même temps, sous l’égide du colonel Nasser, sorti victorieux de la confrontation avec la France, le Royaume-Uni et Israël lors de la crise de Suez de 1956, le pan-arabisme, soutenu par Moscou, progressait de façon spectaculaire avec la création en 1958 de la République arabe unie (R.A.U) qui fusionnait en un seul Etat Egypte, Syrie et Yémen. La création de la République arabe unie suscita l’enthousiasme de l’opinion musulmane au Liban, surtout sunnite et druze, qui exigea que le pays rejoigne la R.A.U. Le président Camille Chamoun s’opposa à cette fusion et, tandis que l’armée libanaise dirigée par le général maronite Fouad Chehab observait une prudence neutralité, la confrontation avec les pro-nassériens déboucha sur une première guerre civile. Les partisans du président s’allièrent aux phalangistes et à la milice du PSNS, pour une fois réconciliés, afin de défendre l’indépendance du Liban contre la R.A.U. et ses soutiens sur place. Afin de mettre un terme aux combats entre les deux camps, Camille Chamoun fit appel à l’armée américaine, qui débarqua le 15 juillet 1958 au sud de Beyrouth et rétablit rapidement l’ordre dans le pays[3].
Le coup d’Etat de la Saint-Sylvestre 1961 ramena le PSNS sur le devant de la scène politique libanaise. Dans la nuit du 30 au 31 décembre en effet, deux officiers de l’armée libanaise membres du parti, appuyés par une dizaine de blindés et plusieurs dizaines de soldats, entreprirent de renverser le nouveau président, Fouad Chehab. Tandis que les militaires putschistes tentaient d’occuper le ministère de la Défense, les militants civils du PSNS capturaient les officiers supérieurs de l’armée et donnaient l’assaut à divers bâtiments publics de la capitale. Mais le président, fort de son expérience militaire en tant qu’ancien commandant en chef, parvint à mobiliser la police et ce qui restait de l’armée et à étouffer l’insurrection en quelques jours. A la suite de ce coup d’Etat raté, le PSNS fut de nouveau interdit (il l’avait été une première fois en 1949), ses militants jetés en prison et le Deuxième Bureau de l’armée, qui avait participé à la répression du putsch, se vit dès lors investi de pouvoirs arbitraires largement attentatoires aux libertés publiques[4].
La guerre civile de 1975-1990, qui opposa, selon la terminologie fort vague et quelque peu inexacte employée par les commentateurs occidentaux, le camp « chrétien conservateur » au camp « islamo-progressiste »[5], signa la fin du Liban « d’avant » même si le pays devait en conserver la structure confessionnaliste. Mais, outre le fait que cette guerre devait en quelque sorte reproduire, sur un temps beaucoup plus long, celle de 1958 (à cette exception près que, cette fois, le PSNS avait changé de camp), il faut en distinguer les prodromes dans le déploiement massif des groupes armés palestiniens menaçant la fragile stabilité du pays, particulièrement après le « Septembre Noir » 1970 qui avait vu l’armée jordanienne chasser l’Organisation de libération de la Palestine du royaume hachémite.
La résistance palestinienne, qui s’était constituée en un véritable Etat dans l’Etat en Jordanie et avait entrepris d’y renverser le roi, provoquant la riposte militaire de ce dernier, suivit la même logique au Liban. Ses groupes armés devaient contrôler les nombreux camps de réfugiés palestiniens du pays mais également s’installer dans le sud du Liban et lancer régulièrement des incursions en Israël, suscitant des représailles israéliennes. Aux termes des accords du Caire du 3 novembre 1969, les autorités libanaises acceptèrent cette présence militaire et le pouvoir exorbitant que s’étaient octroyé les Palestiniens sur le sol libanais. Cela n’empêcha pas l’OLP et les autres organisations palestiniennes de projeter, en concertation avec l’opposition locale, de mettre à bas l’ordre politique libanais. Ce n’est donc pas un hasard si la guerre civile de 1975-1990 débuta le 13 avril 1975 par une fusillade déclenchée par des combattants palestiniens contre une église maronite à Beyrouth et contre Pierre Gemayel, le chef des Phalanges libanaises, principal soutien politique de l’Etat libanais, En réponse à cet attentat, les phalangistes attaquèrent le jour même un car rempli de Palestiniens dont ils abattirent 27 des occupants. Les combats se généralisèrent ensuite à Beyrouth et gagnèrent la montagne libanaise.
Il conviendra de revenir plus en détail sur cette guerre et ses conséquences, mais l’on peut déjà constater que celle-ci mit un terme à l’hégémonie maronite sur le Liban, une hégémonie qu’avait consacré le Pacte national de 1943 réservant aux seuls tenants de cette confession la présidence de la République et le commandement des forces années libanaises. A cette hégémonie devait se substituer l’hégémonie chiite – celle d’une communauté longtemps marginalisée, mais soutenue par la Syrie, qui occupa le Liban de 1978 à 2005, et par l’Iran. Elle mit aussi un terme à la présence armée palestinienne au Liban, et affaiblit d’autant l’influence des sunnites, une communauté certes importante mais minoritaire dans le pays – le Liban constituant à cet égard, avec l’Irak majoritairement chiite, une exception dans le monde arabe.
ThM, 11/2024.
[1] Ainsi, selon les termes du Pacte, le président de la République, élu par le parlement, et le commandant en chef de l’armée libanaise étaient choisis parmi les chrétiens maronites (le second étant d’ailleurs désigné par le premier), le président du conseil (premier ministre) parmi les musulmans sunnites et le président du parlement parmi les musulmans chiites.
[2] Adel Beshara, Outright Assassination. The Trial and Execution of Antun Sa’adeh, Ithaca Press, Reading (UK), 2010, et Franck Mermier, “À l’ombre du leader disparu : Antoun Saadé et le Parti syrien national social”, in Leaders et partisans au Liban, Karthala et Institut français du Proche-Orient, 2012, pages 187 à 217.
[3] Caroline Attié, Struggle in the Levant. Lebanon in the 1950s, I.B. Tauris Publishers, London and New York, 2004; George S. Dragnich, The Lebanon Operation of 1958: A Study of the Crisis Role of the Sixth Fleet, Center for Naval Analyses, Institute of Naval Studies, 1970; https://www.lorientlejour.com/article/1133155/la-guerre-libanaise-de-1958-un-conflit-aux-multiples-facettes.html.
[4] Adel Beshara, Lebanon. The Politics of Frustration – the Failed Coup of 1961, Routledge, London and New York, 2005, et https://icibeyrouth.com/articles/20664/il-y-a-60-ans-le-coup-detat-rate-du-psns-contre-le-regime-de-fouad-chehab
[5] L’opinion arabo-musulmane préférant fustiger comme « isolationnistes », les partisans d’un repli sur le seul Liban ou sur un réduit chrétien face aux tenants du Liban arabe.
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