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Le bonheur selon … ou la Maçonnerie serait-elle socratique ?


« J’espère donc que nous n’aurons qu’un seul but, celui de nous rendre mutuellement agréables et de nous unir dans le noble dessein d’être heureux et de communiquer le bonheur. » (Exhortation aux Frères).


Dans notre réflexion précédente, nous avons noté les trois expressions que la Grèce antique attribuait au bonheur : 1) « bien vivre[1] », 2) « avoir une bonne fortune[2]» et 3) « bienheureux[3] ». Nous continuons de creuser cette forme de philosophie du bonheur en nous intéressant à Socrate et tenter de voir quel rapprochement on peut imaginer faire avec le bonheur vu au travers de la Maçonnerie.

Le seul mal pour Socrate consisterait à mal agir c’est ainsi que le signe démonique, quel que soit le mystère qui entoure ces manifestations, n’a au total peut-être pas d’autres fonctions que celle d’une conscience morale, éprouvée comme une conscience supérieure, émanant d’en-haut ; et loin de signifier qu’une vie heureuse dépend du fait d’être ou non favorisée par les dieux, il manifeste au contraire que le bonheur ne peut avoir d’autres sens que le fait de vivre avec le souci constant du bien conformément à ce souci.

Et pour Socrate, la condition nécessaire et suffisante de la vie bonne est manifestement livrée dans ce souci divin du bien : que la mort soit l’issue du procès constitue un événement indifférent, dès lors qu’elle est le verdict de juges peut-être partiaux, peut-être obtus, et que la rectitude de sa propre conduite mais pas entamée. On ne saurait pousser plus loin à l’idée de l’indifférence à la fortune et de l’autonomie du sage, un topos qui connaîtra ensuite une grande postérité. Et c’est ainsi une position maximale et que nous fait d’emblée découvrir Socrate. Il n’entre ici, on le voit, aucun calcul, car le bonheur se réalise tout entier à tout moment dans le cours d’une vie uniquement guidée par le souci du bien.

Il ne suffit pas en tout cas de vouloir le bien pour être heureux et il reste à examiner si ce que nous voulons est effectivement le bien. C’est pourquoi le bonheur selon Socrate, s’il est indifférent aux coups du sort, est en revanche entièrement à conquérir : il ne peut s’obtenir qu’au terme du plus grand effort critique produit sur soi et sur les autres.

Agir selon le bien, et contrôler ce que l’on se représente comme bon est bien tel : voilà le programme de Socrate, celui qu’il s’impose et qu’il impose aux autres. De là le Socrate éveilleur des esprits, celui qui pique aux endroits les plus sensibles, ceux de la bonne conscience, la cité assoupie. Son instrument est « l’élenchos[4] », la mise à l’épreuve qui, traduit dans les termes de la logique signifiera « réfutation ». En mettant son interlocuteur à la question, en le tournant, en le retournant, Socrate éprouve et son désir du bien, et la conscience qu’il peut avoir des difficultés à faire coïncider le désir du bien et le bien effectif. Et au plus fort du questionnement, Socrate va défier l’autre en lui demandant de rendre raison de la qualité morale qu’il semble incarner, qu’on la lui prête, ou qu’il la revendique : les généraux savent ils définir le courage, le prêtre sait il définir la piété, le jeune homme admiré pour le corps et l’esprit sait-il définir la tempérance ? À chaque fois un abîme se découvre, entre la qualité que chacun semble illustrer, et ce qu’il en sait. Et c'est cette découverte qui fait progresser chacun.



Or en Franc-maçonnerie, dès la cérémonie de l’initiation, l’attention de l’impétrant est attirée sur les codes de la société fraternelle dans laquelle il vient d’entrer. Hors de ces codes, ou s’ils sont mal respectés, le sujet social se retrouve à l’extérieur de la société. Et pour que les codes entrent bien dans l’esprit, l’âme et le corps de l’impétrant, il est fait appel à la méthode de l’imprégnation initiatique. Et le premier article de code est … le Bien ! le bien penser, le bien vouloir, le bien faire, ce que l’on appelle la bienveillance, la bénévolence, la bienfaisance. Autrement dit, être Franc-maçon, c’est vivre une vie de bien. Et comme le bien n’est jamais vraiment défini, c’est dans la confrontation avec les textes rituels ou doctrinaux que se forgent l’idée et la pratique du bien. Quelques

Exemple :

Emulation : « Ayez grand soin surtout, de conserver dans tous leurs éclats, ces joyaux vraiment maçonniques dont je vous ai déjà longuement entretenu : la bienfaisance et la charité. »

Rite Français : « Monsieur, une des vertus dont la pratique nous est la plus chère, celle qui nous rapproche le plus de l'Auteur de notre être, c'est la bienfaisance. » « Apprenez par la justesse du compas à diriger tous les mouvements de votre cœur vers le bien. »

Rite Écossais Rectifié : « Il doit le prévenir ensuite que le tronc des aumônes lui sera présenté dans sa réception, afin qu’il donne en présence des Frères un premier témoignage de la bienfaisance qu’il doit professer. »

« Il lui présentera la Franc-maçonnerie comme un Ordre ancien et respectable voué principalement à une bienfaisance active et universelle, laquelle doit s’étendre à tout ce qui peut être utile aux hommes, soit aux individus, soit à la société en général. »

« Mais êtes-vous également décidé à pratiquer, selon votre pouvoir, envers tous les hommes, qui sont aussi vos Frères, les actes d’une bienfaisance douce, consolante et universelle ? »

« Architecte Suprême de l’Univers, Source unique de tout bien et de toute perfection. »

« Si l’homme a perdu la lumière par l’abus de sa liberté, il peut la recouvrer par une volonté ferme et inébranlable dans la pratique du bien. »

« Mes Frères, le temps fuit et s’efface à nos yeux, mais il est toujours en présence du Grand Architecte de l’Univers ; devant lui tous les instants seront à jamais marqués par nos actions. Employons donc dès à présent avec sagesse ceux qui nous sont accordés pour faire le bien. » « Tout ce que l’esprit peut concevoir de bien est le patrimoine du Maçon. »


La Maçonnerie serait-elle … socratique ?




Tiré de l’ouvrage Le Bonheur (Jean-François Balaudé, Université de Paris X),

Alexander Schnell, Vrin, 2006.


[1] Eu zèn— Εὐ ζἡν. [2] eudemonia— εὐδαιμονία (une des formes du destin, de ce qui a été donné à chacun par le sort ou les dieux) ; la particule eu—εὐ indique que la forme de destin est favorable. [3] makariotès— μακάριοτὴς, de μακαρίος, bienheureux. [4] ἔλεγχος.

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