
Notre TCF Jean G. nous invite à une réflexion philosophico-biologico- maçonnique sur la notion d’Espérance (… écossaise). Il écrit :
1. Elle a un rapport intrinsèque au Temps. Nous nous projetons dans le temps de façon positive et nous nous positionnons dans une perspective de « possibles », à venir. Nous aspirons au bonheur. L’avenir est vectorisé, prend sens, qui prend une couleur transcendante, ce qui ne veut pas dire religieuse, mais lumière sortant du chaos et de l’absurde.
Empédocle fait de l’espérance une ancre pour unir les éléments eau, terre, air, feu, qui « animent » l’être. Platon dans son Timée affirme l’âme ancrée au corps qu’elle anime. Pour lui, l’âme est appelée à rejoindre l’âme du monde. C’est le futur de la matérialité, elle, appelée à disparaître. L’espérance est dans l’âme, est l’âme. Par conséquent l’espérance ne peut être que métaphysique.
Paul de Tarce reprend les termes empédocléens et platoniciens : «nous dont le seul refuge a été de saisir l'espérance qui nous était proposée. », « cette espérance, nous la possédons comme une ancre de l'âme, sûre et solide; elle pénètre au-delà du voile.[1] » Cette ancre nous attache à la vie au nom de l’existence de l’âme.
2. L’Espérance est anticipation. Elle envisage et expérimente un avant-goût, sorte de praegustatum ou praelibatio[2].

3. L’espérance est « de quelque chose ou de quelqu’un ». Ce quelque chose est le bonheur. Elle est un état positif d’« attente sans visée d’attendu[3] ». Elle nous associe à un instinct de vie qui serait inné. Car sans espérance comment vivre ? Camus disait « il n’y a qu’un problème philosophiquement sérieux, c’est le suicide », dans le Mythe de Sisyphe. Il finira ce livre en disant « il faut imaginer Sisyphe heureux ».
4. L’espoir serait inné, « organique », véritable mécanisme physiologique, primitif, participant du maintien de l’homéostasie. Il serait en rapport avec le circuit de la récompense. Les animaux seraient conditionnés par une boucle physiologique de la récompense sécrétant la dopamine, activée quand ils se soumettent à des instincts fondamentaux visant l’expansion et la conservation de l’espèce.
Dopamine, et « circuit de la récompense ».
Les expériences sensorielles ascendantes, sont intégrées au niveau du cortex et notamment dans la zone préfrontale du cerveau. Des réactions motrices vont redescendre de façon réflexe ou avec interventions complexes plus volontaires.


Quand l’action satisfait aux « instincts » mémorisés comme positifs pour l’individu, les voies dopaminergiques, notamment au sein de noyaux (striatum) et voies en violet, sécrètent et véhiculent la dopamine, qui provoquent des stimuli « agréables » dans différentes aires cérébrales qui vont « encourager » ainsi la répétition des mêmes attitudes motrices. Nous chercherons à reproduire l’expérience du « plaisir » ressenti. C’est une sorte de conditionnement, qui peut d’ailleurs être dévoyé en étant orienté vers des comportements nuisibles à l’individu et à la société (addictions, « perversions », violence etc…).
5. Espérance et désespoir.
L’espérance, rationalisée à outrance est une probabilité qu’un événement positif se produise. C’est ainsi que Platon utilise très souvent le mot « vraisemblable », qui s’accorde avec la non-connaissance que Socrate professe. Rien n’est certain, mais des occurrences sont plus crédibles que d’autres. Il est à mi-chemin entre une foi religieuse et un humanisme matérialiste. Ainsi nous demande-t-il d’admettre les deux axiomes de l’existence de l’âme et celle d’un monde intelligible. Ces deux axiomes permettent de donner sens à la vie, sans sacrifier le déploiement dialectique de la raison.
Faut-il perdre tout espoir pour que l’espérance renaisse ? Faut-il se libérer de l’espérance et dire avec Nietzsche l’espérance est « le pire des maux ?[4] » Comme en Asie faudrait-il renoncer à tout, se détacher de tout, pour s’oublier définitivement ? N’attendre rien, éviterait, la déconvenue du non-accomplissement ! Faudrait-il ne plus connaître, désapprendre pour espérer ? Stoïcisme et scepticisme ont exploré cette voie. « Heureux celui qui a perdu tout espoir car l’espoir est la plus grande torture qui soit et le désespoir le plus grand bonheur.[5] »
Pour nous l’espérance ne naît plus de la révélation mais de la « rénovation alchimique ésotérique par le feu spirituel ». Nous sommes passés du baptême à l’initiation.
6. L’espérance écossaise est une Volonté à « l’œuvre », non une attente passive.
Nous serions plutôt du côté des démarches apophatiques, des métaphysiques négatives qui cherchent le sens selon une métaphysique ascendante et non pas en s’en remettant à une révélation, métaphysique descendante, donnée une fois pour toute. « Yes, we can ! » Et l’on recroise Nietzsche : « Il est grand temps que l’homme plante le germe de sa plus haute espérance[6] ». La contradiction avec la précédente citation du même auteur dans « humain trop humain », n’est qu’apparente. Pour véritablement espérer, construire son espérance, il convient d’abord de se départir des illusions, des espérances du « vieil homme », comme des idées reçues. Il faut passer par une phase de ténèbres, dépasser le Nada[7], Néant des mystiques, pour déshabiller des oripeaux anthropomorphiques l’Espérance transcendantale, et la vivre aux limites de l’entendement. La raison démembre et démantèle les idoles pour envisager le divin. Il faut sortir du « temps de la déréliction[8] ». L’Espérance se nourrit de la raison, l’épuise et la dépasse tout en l’utilisant, jusqu’aux limites de l’indicible. L’Espérance subjugue et anéantit le Néant.
Avec Sénèque nous pourrons alors dire : « Lorsque tu auras désappris à espérer, je t’apprendrai à vouloir.[9] » et ainsi « l’avenir ce n’est pas ce qui va arriver, c’est ce que nous allons faire[10] »
7. L’espérance est une résistance, au désespoir, au nihilisme, au conformisme, à la résignation, à la renonciation, mais aussi à la certitude. En effet comment peut-il exister une espérance si la certitude est telle, que l’événement espéré, pour ne pas être présent, est assuré ? En mathématique une espérance à 1 n’est plus une espérance c’est un fait avéré.
« L'espérance est une vertu héroïque. On croit qu'il est facile d'espérer. Mais n'espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu'ils prenaient faussement pour de l'espérance[11] ».
L’écossisme est un rêve de souveraineté transcendantale réunifiée, par des hommes souverains eux-mêmes, c’est-à-dire résistants. Les Maçons écossais sont ces personnes « qui échappent à la douche froide de la normalisation[12] »
JG, 12/2024.
[1] Epitre aux Hébreux 6.18-19.
[2] Thomas d’Aquin.
[3] Emmanuel Levinas.
[4] Humain, trop humain, (§ 71).
[5] Le Mahabharata.
[6] Ainsi parlait Zarathoustra.
[7] St Jean de la Croix.
[8] Jacques Ellul. In « L’espérance oubliée ».
[9] Hecaton, cité par Sénèque. Lettre 5.
[10] Gaston Bachelard.
[11] Georges Bernanos, « la liberté pour quoi faire ? ».
[12] La psychanalyste J. McDougall (1978).
Comments