Cahier Bleu n° 49 : La Franc-maçonnerie est-elle une société initiatique ?
- ITER
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Ce numéro de Cahier Bleu, n° 49, a pour objet de tenter de faire le point sur ce qu’est une société initiatique, et ainsi, de mieux comprendre la place de la Franc-maçonnerie dans le paysage des sociétés initiatiques.
La compréhension de la Franc-maçonnerie est souvent brouillée en France (et aussi ailleurs) par une image erronée qu’en ont le gens. Il est vrai que, dans notre pays, cette image n’est pas claire en raison de la pluralité des organisations maçonniques, parfois très différentes entre elles, et des résidus de l’histoire par laquelle elle a passé.
Un glossaire figure en annexe.
Comment se caractérise une société initiatique ?
Une société initiatique est un groupe ou une organisation structurée autour de procédures cérémonielles d’entrée et d’avancement dans le groupe, et de connaissances plus ou moins secrètes voire ésotériques. L’appartenance à une telle société implique un engagement envers des valeurs ou de transformation personnelle plus ou moins poussée à la faveur d’un cheminement spirituel ou moral progressif selon l’intensité de spiritualisation de la société.
Plus précisément, une société initiatique se caractérise par trois principaux critères :
1. Un dépôt traditionnel.
Toutes sont des sortes de conservatoires de contenus issus de traditions particulières, déposés et transmis de génération en génération, et font usage de rites et rituels. Leurs dépôts vont de l’opérationnel au symbolique.
Bien que les frontières entre elles soient parfois floues, on peut en gros distinguer deux grandes catégories :
- Des « Confréries[1] », sociétés dont la finalité est la conservation de valeurs traditionnelles. Elles sont plusieurs centaines en France ; C’est le cas de certaines confréries, notamment celles dites « gastronomiques », telles que Les Chevaliers du Tastevin, Les Chevaliers du Brie de Meaux, La Chaîne des Rôtisseurs, Les Poulardiers de Bresse et plusieurs autres confréries dans les provinces. Elles créent un véritable tissu social en rassemblant des passionnés, des artisans, des producteurs et des consommateurs autour d’une même cause. Elles visent à construire un trait d’union entre le passé et l’avenir, entre tradition et modernité.
- Des sociétés dont la finalité consiste à offrir à leurs membres, à des degrés divers, la possibilité d'une transformation intérieure, en vue d’une élévation civique, morale, intellectuelle, spirituelle, humaine. Elles visent à construire une chaîne de fraternité entre leurs membres. C’est le cas en particulier de la Franc-maçonnerie, dans ses grandes variétés, et du Compagnonnage. Leurs dépôts respectifs, et parfois communs, sont essentiels : usage de symboles tirés de l’exercice des métiers de la construction (ou autres pour les métiers reconnus dans le Compagnonnage), d’allégories, de métaphores, de réflexion sur des tableaux, etc.
L’entrée d’un nouveau membre est, dans tous les cas, ritualisée, par une cérémonie dite « initiation » ou « réception » quand l’initiation se fait en plusieurs étapes.
« Initiation » signifie étymologiquement « début ». C’est pourquoi le processus de progression initiatique peut s’effectuer en plusieurs étapes, à la mesure de la connaissance du dépôt traditionnel de la société et dans la maîtrise prouvée de certains principes et pratiques.
2. Un engagement envers des valeurs et la société.
Toutes les sociétés initiatiques exigent un engagement solennel de la part de leurs membres.
- Les intronisations dans les Confréries se déroulent lors de rituels publics, nommés « Chapitres », ressemblant aux cérémonies chevaleresques. La prestation d’un serment solennel engage le récipiendaire à valoriser les richesses du terroir, et sacralise ce cérémonial.
- la Franc-maçonnerie et le Compagnonnage exigent la fraternité entre les membres, la liberté de conscience et de volonté d’admission, le maintien des secrets communiqués (mots, gestuelles, signes de reconnaissance, etc.), l’exemplarité de comportement y compris envers les personnes hors société initiatique, l’esprit de service et de solidarité envers tous, générosité, bienveillance, respect et tolérance envers les opinions d’autrui, le respect des lois et de l'État du pays dans lequel la société existe, etc. Les communications se font dans un cadre toujours privé, à l’abri du regard de ceux qui ne sont pas habilités à en connaître.
3. Structure hiérarchique.
Les sociétés initiatiques sont souvent organisées :
- Pour la transmission du fond : en grade, degrés ou niveaux :
Franc-maçonnerie : apprenti, compagnon, maître, etc.), chacun avec ses enseignements et ses responsabilités. L’avancement dans la hiérarchie initiatique dépend de l’implication des membres : le travail, le temps (permettant la progression), le mérite et, pour certaines sociétés, la foi en Dieu (théiste ou déiste[2] ou autre, selon les cas). La liberté de conscience est toujours la référence absolue.
Compagonnage, selon les sociétés : Aspirant, Compagnon Entré, Compagnon fini, etc.
- Sur la forme : en structures de base pour les réunions :
o En Chapitres, pour les confréries gastronomiques et certains systèmes maçonniques ;
o En loges, chapitres, ateliers, commanderies etc. pour la Franc-maçonnerie ;
o En ateliers, cayennes, etc. pour le Compagnonnage.
- En structure de gouvernement de la société :
o Grande Loge, Grand Orient, Grands Maîtres, Vénérables-Maîtres, etc., pour la Franc-maçonnerie ;
o Fédération, Union, Association, pour le Compagnonnage.
La Franc-maçonnerie est-elle une société initiatique ?
Dans la forme sous laquelle elle est pratiquée aujourd’hui dans le monde, la Franc-maçonnerie a ses sources historiques d’abord en Écosse, en Irlande, puis en Angleterre au XVIIe siècle.
Elle a été introduite en France par les Maçons de Londres et aussi par certains maçons écossais et irlandais, principalement, pour ces derniers, dans les ports français, antérieurement aussi par des régiments militaires auprès de Louis XIII.
L’histoire de la Franc-maçonnerie en France a fait l’objet des Cahiers Bleus notamment n° 2, 3 et 4, et passim dans plusieurs autres[3]. Elle n’est pas reprise dans celui-ci.
Pour le sujet de la société initiatique maçonnique, il est possible de dégager schématiquement trois périodes d’évolution.
1. Les débuts spéculatifs de 1598 à 1721.
Par « spéculatif », il faut entendre « sur le modèle d’une société de métier opérative » mais sans en pratiquer le métier, tout en faisant appel à ses valeurs repères, à ses outils de travail, à ses pratiques et à son dépôt traditionnel de légendes, allégories, mythes, etc. pour les muter en supports d’enseignements civique, moral, philosophique, intellectuel, spirituel, etc.
Il ne semble pas qu’il y ait eu beaucoup de contenu d’ésotérisme à cette première époque dans les loges, sauf peut-être en Irlande, mais les documents manquent.
L'activité des loges était essentiellement tournée vers le secours mutuel, la convivialité, la sociabilité et le divertissement, parfois intellectuel (enseignement de connaissances philosophiques et scientifiques, surtout dans les loges anglaises).
Les premières loges ne semblent pas, à cette période reculée, relever, à proprement parler, d’une société initiatique.
D’ailleurs, le mot « initiation » et celui initier » ne figurent pas dans les Constitutions d’Anderson, premier document régulateur officiel des loges anglaises, comme il ne figurait pas non plus dans les « Old Charges — « Anciens Devoirs » — règles des Maçons opératifs, avant d’être repris comme modèles par les spéculatifs.
On y trouve : « admitted » — admis » ou « sworn » — « lié par un serment » — dans le Manuscrit Regius (env. 1390) ou Cooke (env. 1401). Dans le registre de la Loge d’Édimbourg (Mary’s Chapel) et dans la Première Grande Loge d’Angleterre, on lit « Entré » et « Made Mason — « fait Maçon » —
Les termes les plus courants pour désigner « l’initiation », dans les débuts de la Franc-maçonnerie spéculative, étaient alors « admission », « acceptance », « being a Mason », « being made a Mason ».
Le vocabulaire maçonnique moderne, qui inclut « initiation », « initier », et des termes similaires, se développa, graduellement, particulièrement quand la Franc-maçonnerie adopta des caractéristiques davantage symboliques, ésotériques et philosophiques. Cette évolution apparut vers le milieu et la fin du XVIIIe siècle, sous l’influence de la pensée des Lumières, et par le contact avec la Franc-maçonnerie continentale, en particulier en France. Le terme « initiation » entra de plus en plus en usage, tiré du vocabulaire des sociétés traditionnelles et à mystères, comme dans l’Antiquité.
Notons que l’interdiction faite, dès le début, de débats politiques ou religieux en loge correspondit à la volonté des premiers Maçons de réunir ce qui était encore épars à la sortie de plusieurs années de troubles politiques et d’antagonismes religieux. L’intention était de créer un « centre d’union » entre personnes, distantes et parfois hostiles entre elles, pouvant ainsi créer et solidifier le lien social pour le plus grand bien et la prospérité civile de l’Angleterre. Cette interdiction est encore en vigueur de non jours.
Cette première Franc-maçonnerie apparaît, avec le recul du temps, comme une volonté simple de création d’une chaîne universelle « d’honnêtes hommes » dans son propre pays et dans le monde, de membres « du même club », en qui l’on puisse faire confiance au cours de voyages et d’hébergement, sans réel but « initiatique », ou alors très léger et discret, au sens moderne du mot.
2. La période de mutation 1721 – 1813.
La Franc-maçonnerie en Angleterre finit par s’imposer comme « Grande Loge Mère » de la Maçonnerie universelle.
À ce titre, les deux grandes évolutions furent les suivantes :
- La consolidation de l’honorabilité de la Franc-maçonnerie :
Les Grands Maîtres proches de la famille royale britannique, ce qui entraîna que d’une confrérie de métier, la Franc-maçonnerie anglaise devint un ordre de société, respectable et respecté.
- L’apparition d’un troisième grade : celui de Maître en 1738, dans la seconde publication des Constitutions d’Anderson.
Il injecta dans les rituels un ésotérisme nouveau, venu s’ajouter au modèle du « chantier » ; La Franc-maçonnerie devint ainsi dès lors une société incontestablement initiatique, au sens ésotérique du terme.
3. La période contemporaine : diversification des sens et des pratiques.
Le rapide et considérable développement de la Franc-maçonnerie dans le monde, s’accompagna d’une sorte d’adaptations locales des mœurs et pratiques correspondant davantage à la sociologie et à la culture des pays où elle s’implanta qu’au modèle de départ.
Le succès de l’expansion fut appuyé par une série de raisons différentes, disparates mais convergentes : l’action des loges militaires itinérantes, l’intérêt individuel de faire partie d’une société « VIP » dont le secret attire, le besoin de s’imposer dans les empires coloniaux français et anglais pour s’attirer les faveurs des dirigeants traditionnels locaux, le besoin de penser l’évolution des sociétés civiles à la lumière d’un idéal de fraternité universelle dans un cadre apaisé et tolérant.
La Grande Loge Indépendante de France : une société authentiquement initiatique.
Il s’ensuit, qu’en France, la Franc-maçonnerie est devenue une « mosaïque », où chacun peut « trouver chaussure à son pied », selon son désir, ses idées et ses besoins d’inclusion et d’initiation.
On y trouve une large gamme de Grandes Loges, allant de la réflexion politico-sociétale à la Maçonnerie cérémonielle « à l’anglaise ».
Cette variété est renforcée par celle des rites de travail, qui, à leur tour, permettent de satisfaire les Frères qui souhaitent travailler :
soit dans un fond de cérémonies proches de l’origine dans un esprit de camaraderie et d’excellence de chantier,
soit dans un cadre autorisant des causeries et échanges à portée philosophiques ou enseignements tirés de l’histoire, de réflexions sur des bases symboliques,
soit encore de processus initiatiques tirés d’une vision de l’homme en quête de son retour à son état spirituel d’origine à la faveur de rites imprégnés d’origénisme, de Kabbale ou d’illuminisme du type de Jacob Boehme, et autres.
La Grande Loge Indépendante de France, par sa qualité, est reconnue régulière d’origine.
Elle offre à ses membres le choix de cette gamme de rites, véritables moyens de penser, d’évoluer et de se transformer pour progresser sur les plans humain, moral, intellectuel et spirituel.
Elle porte donc, à juste titre, son caractère de société initiatique.
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Glossaire
- Initiation
Admission d'un nouveau membre, d'un nouvel adepte d'une religion, d'une secte, d'une société secrète, de la société.
Cette pratique est issue et transposée de l'initiation aux mystères antiques, consiste, via des rites particuliers, à imaginer la « mort du profane » et la « résurrection du myste » à une vie nouvelle, après avoir subi des épreuves diverses et appropriées à l’objet de la société initiatique.
- Initié
Personne reçue, admise à la connaissance des mystères, à la participation aux cérémonies secrètes, au nombre des participants à la société ; à qui ont été révélés les secrets, la connaissance de quelque chose de caché ou d'un savoir ésotérique.
- Old Charges, Anciens Devoirs
Les « Old Charges » en anglais ou « Anciens Devoirs » en français, tout comme les Constitutions d’Anderson dont elles sont issues sont des documents régulateurs écossais ou anglais, servant de référence au métier de maçonnerie ; ils sont composés de trois parties communes aux différentes familles de manuscrits écrits depuis le XIVe siècle :
· l’origine du métier ;
· le serment et les obligations ;
· l’organisation du métier et ses règles morales, calquées sur les règles monastiques du moyen âge.
Notes.
[1] Les confréries religieuses, très vivantes dans les provinces françaises, ne sont pas traitées dans cette note.
[2] Depuis Kant (XVIII e siècle), il est d'usage de distinguer déisme et théisme.
- « théisme » entend se conformer à la volonté de Dieu révélé ; cette doctrine admet l'existence d'un Dieu unique et personnel comme cause transcendante du monde.
- « déisme » estime que tout se déroule déjà en accord avec la volonté d’un Créateur, puisque rien n'échappe aux lois divines de la création, cette doctrine affirme que la raison peut accéder à la connaissance de l'existence de Dieu mais ne peut déterminer ses attributs. Le « déisme » est la position philosophique des personnes qui admettent l'existence d'une divinité, sans accepter de religion.
[3] Voir l’onglet « Cahiers Bleus » sur le site de la Grande Loge Indépendante de France www.glif.fr.