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Cahier Bleu n° 47: Être Franc-maçon, un devoir de perfectionnement de soi qui conduit au bonheur.


 

"Work is the rent you pay for the room you occupy on Earth[1]." 

 

En Franc-maçonnerie, « le bonheur est le loyer que nous percevons

pour la place que nous occupons en Loge. »

 

La première notion que perçoit le nouvel initié Apprenti Franc-maçon à l’issue de sa cérémonie traditionnelle d’admission, c’est que son devoir, durant tout le cheminement des degrés de l’initiation, sera le perfectionnement de soi. Tous les rites et instructions incitent au perfectionnement de soi.


-       Un contexte d’illumination de l’esprit.

Les lecteurs des Cahiers Bleus de la Grande Loge Indépendante de France connaissent bien l’histoire de la Franc-maçonnerie primitive et de la création des premières loges spéculatives ; nous n’y reviendrons donc pas : construire une chaîne universelle « d’honnêtes hommes », selon l’expression du XVIIIe siècle, celui des Lumières.

Car qu’est-ce qu’un « honnête homme » ? « L'honnête homme » est un modèle d'humanité, apparu déjà au XVIIe siècle sous la plume des moralistes et des écrivains de l'époque. C’est un homme du monde accompli, d'un esprit cultivé mais exempt de pédantisme, agréable et distingué tant dans son aspect physique que dans ses manières, cosmopolite.

Ce contexte historique témoigne de l'émergence et de l'affirmation croissante de l’ascension de la bourgeoisie industrielle et commerçante, de plus en plus revendicatrice de sa place sociale. En Angleterre, la hiérarchie aristocratique était devenue en quelque sorte « liquide » car des bourgeois méritants pouvaient y entrer et prendre leur part de pouvoir. Mais en France la noblesse (titre par la naissance ou le bon vouloir des monarques) sclérosée peu à peu dans un système hiérarchique rigide et fermé sur lui-même, tout en continuant d’occuper, et jusqu’à la Révolution en France, tout l'espace du pouvoir, recevait les coups de boutoir de la bourgeoisie[2].

Ce mouvement d’idéal universel se répandit progressivement dans toute l’Europe[3] et se développa avec force d’abord en Angleterre, puis bientôt en Amérique du Nord sous l’avènement des États-Unis.

-       La reprise d’un idéal du XVIIe siècle.

Si le mouvement était nouveau, l’idée ne l’était pas. En effet le XVIIe siècle avait connu les idées, restées assez virtuelles, du mouvement rosicrucien. Son idéal : construire une « cité » pacifiée par une religion acceptable par tous les chrétiens, quelle que soit leur confession, une sorte de « religion naturelle », cité habitée par une humanité régénérée physiquement, moralement, spirituellement et intellectuellement.  C’était la « Christianopolis » ! Dans un tel projet à dimension universelle, le monde serait devenu convivial, il y règnerait un espace de paix et de respect mutuel entre ses « citoyens du monde ». Bref une chaîne de fraternité humaine. Les promoteurs de cet idéal se réunissaient sous la forme de « Collèges Invisibles ».

Il importe de se rappeler que ces idées avaient pénétré dans les loges de la Franc-maçonnerie primitive. Le moment historique l’imposait : il fallait d’urgence sortir des conflits religieux et politiques qui avaient ravagé la Grande Bretagne et causé plus de quatre millions de morts ailleurs en Europe par la Guerre de Trente Ans. Des scientifiques et érudits anglais, dont certains membres de la Royal Society, réunis secrètement dans les Collèges d’Oxford et de Cambridge, sur le mode des « Collèges Invisibles » rosicruciens, s’en chargèrent.

 

-       Le modèle du projet humaniste : l’organisation et l’esprit des grands chantiers.

L’objet même de la Franc-maçonnerie, à ses débuts, était de faire de chaque Maçon un maillon de la chaîne universelle des « honnêtes hommes ».

On peut rappeler qu’à ses débuts en Angleterre, la Franc-maçonnerie, qui ne comportait que deux degrés sur le modèle des loges opératives écossaises, Apprenti et Compagnon[4]. Dans les loges opératives, en raison des enjeux économiques, commerciaux et esthétiques des chantiers, les ouvriers, sous la conduite des maîtres d’œuvre, devaient être absolument des élites du Métier. L’accès aux compétences professionnelles étaient progressives, d’où des degrés dans le Métier[5] ; au moins cinq niveaux chez les « Compagnons ». À l’adresse manuelle devaient s’ajouter des qualités humaines pour diriger un grand nombre d’ouvriers dans la durée, des devoirs moraux (les « Anciens Devoirs » ou « Old Charges ») pour assurer l’honorabilité du Métier (fidélité, loyauté, discipline) et de l’éducation intellectuelle, les fameux sept « Sciences et Arts libéraux ».

On voit clairement que le perfectionnement continu de soi était dans l’ADN du Métier de Maçon.

Nous passerons sur les analogies d’organisation de la loge avec la disposition des compétences sur les chantiers, connues et vécues par tous les Maçons dans leurs loges, pour nous focaliser sur les éléments du perfectionnement continu de soi.


-       Les composantes du perfectionnement de soi.


o   Le sublime.

Le sublime implique que chacun recherche à dépasser en continu ses propres limites physiques, civiques, spirituelle, intellectuelles. Mais attention, la perfection n’existe pas, le perfectionnement, oui !  Pour ne pas s’égarer, nous devons chacun rester dans les limites définies par l’équerre et le compas. L’équerre, pour ne pas outrepasser la loi morale universelle, le compas, pour ne pas outre passer, par pure orgueil, la place que le destin nous a conférée dans la vie. Cela ne veut pas dire qu’il faut rester statique, sinon la construction du Temple Intérieur ne progresserait naturellement pas. Ce n’est pas l’angle droit de l’équerre qu’il faut écarter, ni les branches du compas, mais ce qu’il faut c’est faire grandir l’ensemble équerre et compas, de façon à rester toujours au centre, tout en progressant harmonieusement dans tous les domaines cités, c’est-à-dire, tout en continuant de se perfectionner comme être. 

C’est pourquoi il est nécessaire de se pencher régulièrement sur les instructions du Rite, et ne pas hésiter à les reprendre continuellement, car elles sont la voie initiatique de progrès vers le sublime.

o   La sagesse.

Le progrès de l’intelligence de l’être passe par un juste équilibre entre la raison et l’expérience. Cependant, la raison humaine n’est pas illimitée et l’expérience peut devenir trompeuse dans des contextes d’application différents. : raison et expérience doivent reconnaître leurs limites pour éviter les erreurs, comme prétendre connaître ce qui dépasse l’expérience sensible : le divin, l’immortalité de l’âme, la liberté absolue, etc.

Il importe donc, dans une voie de sagesse portée par le progrès initiatique, de distinguer le monde tel qu’il nous apparaît dans ce que nous appelons « la réalité » du monde en lui-même, « le réel », caché de qui émane la réalité.

C’est pourquoi, un être Maçon en cours de perfectionnement doit être capable de se libérer des illusions et des opinions d’autrui en offrant à la raison un fondement toujours critique.

 

o   La force du courage.

Nos connaissances sont toujours conditionnées par les structures de notre esprit : espace, temps, catégories. Il est plus confortable de se persuader que notre compréhension du monde est la bonne, surtout si nous sommes sensibles aux mensonges, matraquages et conditionnement dont l’environnement nous noie, parfois sous couvert de « science », voile pudique d’intentions politiques, sociétales ou économiques.

Il faut cependant être vigilant à ceci : une conduite d’affirmation de courage peut être parfois contradictoire avec une règle morale universelle. C’est le cas, par exemple, de la pitié, ou simplement du « faire plaisir » pour ne pas contrarier. Y succomber peut n’être que faiblesse et empêcher l’accomplissement d’un devoir de justice.

Aucun Maître d’Œuvre, qui savait que ses décisions engageaient le chantier au-delà de sa propre présence, ne l’ignorait. Cela se disait dans les Anciens Devoirs : « Faire parfaitement et fidèlement son travail, en s’efforçant qu’il soit au profit et à l’avantage de son propriétaire. »

C’est pourquoi tout Vénérable-Maître doit être rivé à son devoir d’évaluation du perfectionnement de chaque ouvrier Maçon sur le chantier de la Loge, sans céder pour avoir la paix au « copinage » ou à la peur d’être accusé de dureté de cœur, si l’intérêt et l’avenir de la Loge risquent d’en pâtir.

 

o   La beauté.

Il n’est nul besoin d’une solide formation intellectuelle pour sentir la beauté et l’appliquer dans sa vie courante. On peut même dire que le beau, s’il parvient à devenir une seconde nature, est le fruit de l’illumination initiatique.

C’est peut-être ce qui est le plus difficile à réaliser, tant le monde actuel vomit de laideur et de mauvais goût dans tous les domaines.

L’appréciation et la réalisation de la beauté de l’édifice extérieur et de celui intérieur est une véritable grâce ; elle distingue le vrai professionnel habité par les valeurs éprouvées d’un vrai métier. Et ce souci du beau doit se voir dans tous les aspects de la vie et des relations humaines.

C’est pourquoi, il est nécessaire que la loge soit bien disposée, bien géométrisée, avec des décors appropriés propres et soignés, et non abîmés et dépareillés, que les Frères soient bien habillés (d’où « l’uniforme du costume noir, de la chemise blanche et de la cravate noire, aussi signe d’égalité parle haut) ; que le langage soit châtié, autre marque de respect envers les Frères ; que la mesure règne dans les échanges, que les relations d’abord entre Frères, puis avec autrui soient toujours courtoises.


o   La langue des symboles.

La Bible, c’est-à-dire le Maître de l’Ouvrage, nous a donné comme modèle indépassable de perfection le Temple du roi Salomon. Nous le représentons en loge entouré de plusieurs symboles se référant au Métier de Maçon. Chacun d’eux porte une infinité de messages.

Or, il n’y a d’inné que la loi de l’âme qui unit les sensations qui nous viennent de la présence d’un objet, en Franc-maçonnerie, les symboles et allégories.

C’est pourquoi, la liberté de conscience est essentielle en Loge, car chacun entend le message initiatique des symboles dans sa propre langue.

 

o   Le bonheur et la joie.

La recherche collective du perfectionnement de soi doit conduire d’abord à la paix et à l’harmonie, et ensuite, par voie de conséquence au bonheur de chacun.

On se souvient de cette anecdote si significative : le maître d’œuvre, fait son inspection de chantier ; il croise un ouvrier et lui demande ce qu’il fait : — « Vous ne voyez donc pas que je trime du matin au soir, dans le froid et la chaleur, pour casser des cailloux ? » Il continue son chemin et tombe sur un autre ouvrier à qui il pose la même question — « Attendez, ne me dérangez pas trop longtemps, car je suis aux pièces et je travaille pour assurer la subsistance de ma famille ! » ; notre inspecteur continue son chemin, et il s’arrête devant un troisième ouvrier, sur lequel son attention avait été attirée par ses chants en travaillant, et il lui pose la même question — fort joyeux celui-ci lui répond « vous voyez, en taillant cette pierre, je bâtis une cathédrale ! »

Il en est de même en Loge. À quoi servirait l’illumination initiatique, si c’était pour conduire à la tristesse ? Si le mot bonheur est peut-être excessif, encore que nombre de Frères soient heureux en Maçonnerie, et lui reconnaissent cet apport qu’ils n’ont pas trouvé ailleurs, le moins que l’on attende du travail en loge est de ressentir de la joie. Chacun l’éprouve en fonction de ce qu’il est venu y chercher.

C’est pourquoi un Vénérable-Maître, tel un maître d’œuvre de chantier opératif, se doit de conduire les travaux dans le but de donner à chacun l’opportunité de se perfectionner d’une manière ou d’une autre, afin de faire rayonner le bonheur en lui et sur tous. Il doit se préoccuper de ceux qui ne cessent de râler, qui n’éprouvent le moindre plaisir de ce qu’ils y font, y créent des problèmes pour exister aux dépens d’autrui, d’autres qui y viennent dans l’espoir de tirer de leurs Frères et de la Loge des avantages matériels ou des honneurs visibles, et d’encourager ceux y viennent pour le bonheur de se perfectionner par leurs échanges avec des Frères ou par des intuitions lumineuses intérieures. Mais aussi de ne pas fermer les yeux sur les vilénies et abaissements de mauvais Maçons, mais de les neutraliser en faisant preuve de courage pour protéger l’esprit de sublime, de sagesse, de beauté d’âme. Et ainsi de bâtir un édifice de béatitude … à l’échelle locale pour l’intégrer dans la chaîne de fraternité universelle.

 

« Mon  but n’est pas d’être meilleur que d’autres,

mais d’être meilleur que je l’ai été. »

12/2024.


[1] Cette sentence est attribuée à la feue Reine du Royaume Uni, Élizabeth II. « Le travail est le loyer que nous payons pour la chambre que nous occupons sur terre » … 

[2] Cf. la comédie de Molière : Le Bourgeois Gentilhomme.

[3] Pensons seulement à la « Déclaration Universelle des Droits de l’Homme » de 1789…

[4] Exactement « Registred Apprentice », pour le jeune de 14 ans enregistré par la guilde pour apprendre le Métier sur les chantiers, puis « Entered Apprentice », à son entrée dans la loge après sélection sur ses qualités, à 21 ans, et Fellow of the Craft », mal traduit par « Compagnon ». Le Maître de la Loge était un « Compagnon », et « le Maître », un artisan tenant boutique en ville, en contact avec les donneurs d’ordre pour des chantiers de constructions d’édifices civils ou religieux.

[5] 1) tailleurs de pierre cubique, 2) tailleurs de pierres oblongues, lourdes, pour les fondations, 3) marqueurs pour vérification de la conformité des travaux aux plans et dessins, les accepter ou les rejeter, 4) élévateurs des murs, et 5) le sommet du Métier : maîtres d’œuvre (à la fois architecte, c’est-à-dire concepteur de l’ouvrage et chef de chantier, donc dirigeant et coordinateur des différents corps de métiers).

 



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