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Cahier Bleu n° 44 : Le degré de Maître Maçon : une énigme et un mystère.


Une rupture dans l’essence des degrés de la Franc-maçonnerie.

Le degré de Maître Maçon est à la fois :

Une énigme :

L’on ne sait avec précision quand il a été officiellement intégré dans le rituel maçonnique qui ne comportait, presque jusque dans la fin des années 1740, que deux degrés : Apprenti Maçon (en anglais « Entered Apprentice »), et Compagnon du Métier (en anglais « Fellow of the Craft[1] »).

Un mystère :

On ne comprend pas bien pourquoi la Franc-maçonnerie spéculative a donné la sublimité (retenons ce mot) de son processus d’initiation à une dramaturgie, étrange et étrangère à l’esprit et aux contenus des deux degrés cités. Jusque-là la Maçonnerie avait été conçue, simplement, sur le modèle des clubs britanniques pour rassembler des « honnêtes hommes » en désir de perfectionnement, destinés à créer un tissu de gens bien sous tous rapports, « unis par les mêmes principes et les mêmes pratiques ».


Une école de perfectionnement de soi.

Pour tenter d’y voir un peu plus clair, il convient de rappeler que le substrat de la Franc-maçonnerie, ou plus précisément celui la Loge où se produit le phénomène initiatique, est l’image d’un chantier. Si l’on ne garde pas en tête cette image du chantier, nous ne sommes plus dans le spéculatif, mais dans une sorte de théâtre où s’agitent des acteurs sous le regard de spectateurs.

Par perfectionnement, la Maçonnerie entend un progrès continu de la qualité humaine.


Les deux premiers degrés concourent à favoriser le désir de perfectionnement.

Le degré d’Apprenti Maçon est celui qui vise à apporter au Maçon le matériau nécessaire à son perfectionnement dans le vaste domaine des vertus civiques, morales et de la relation utile aux autres. Sans cette première étape, rien ne pourra être accessible au-delà. Les outils symboliques du chantier nous parlent, en quelque sorte, pour nous guider sur les degrés de cette échelle de perfectionnement.

C’est une étape à franchir qui ne doit pas être longue dans le temps. Car elle ne nécessite aucun savoir, mais du savoir-faire et surtout du savoir-être ou savoir-vivre, symboliquement dans le chantier qu’est la Loge, mais aussi au dehors dans la société du pays où l’on vit. Si cette étape de perfectionnement dure trop longtemps, cela pourrait révéler l’incapacité du sujet à saisir son objet, et donc le risque à chercher à en détourner le sens pour s’efforcer d’exister au milieu de ses Frères.

Le degré d’Apprenti Maçon est donc un départ pour le perfectionnement comportemental. C’est pourquoi sa représentation symbolique est ciseau, maillet et pierre brute, pour la dégrossir.



Le degré de Compagnon du Métier, lui, a un autre but : rendre le Maçon « plus intelligent », l’aider à éclairer son esprit, à élargir son champ de pensée. Le moyen ? Symboliquement par l’acquisition de savoirs nécessaires à la bonne compréhension et à l’exécution du travail sur le chantier, cette fois-ci étendu au monde, c’est-à-dire aux secrets et mystères de la Nature.

Mais de quels savoirs s’agit-il pour les Maçons spéculatifs ou « de théorie » ?

La Franc-maçonnerie a reçu historiquement parmi ses membres opératifs, en Écosse, puis en Angleterre, des scientifiques, des philosophes, des médecins, etc. Parmi eux se trouvaient des érudits qui parallèlement avaient fondé la Royal Society, académie royale des sciences anglaise. C’étaient des passionnés de lumière au sens XVIIIe siècle du terme. Ils avaient été influencés dans ce sens par le mouvement rosicrucien de la Renaissance. Cette école de pensée et d’action, la Rose-Croix, avait déjà tenté de fonder un tissu humain international de personnes, de tous domaines scientifiques et philosophiques, pour créer une fraternité destinée à apporter paix et harmonie dans le monde. Dans ce mouvement intellectuel, le progrès des sciences se diffusait au moyen de « Collèges Invisibles » pour échapper aux instances inquisitoriales de l’Église, dont les bûchers brûlaient à la fois « hérétiques » et scientifiques audacieux. Ils ont ainsi donné au degré de Compagnon du Métier un but de perfectionnement de l’entendement pour effectuer des recherches sur les mystères cachés de la Nature et de la Science. La Nature, cette puissante et mystérieuse énergie universelle, première, que rien n’arrête, du simple brin d’herbe à l’infiniment grand et à l’infiniment petit, mystères physiques qui nous dépassent. Devenir un bon Compagnon du Métier, c’est ne pas se laisser abrutir par toutes sortes de superstitions et de bourrages de crâne, mais de disposer de sa propre liberté et la cultiver sans cesse pour comprendre le monde et y agir avec perspicacité.

Le degré de Compagnon du Métier est un moteur de progrès de l’esprit pour « le mettre au carré », pour le perfectionnement intellectuel, et la protection de sa liberté, tout au long de sa vie. C’est pourquoi il est représenté symboliquement par une équerre et la pierre devenue cubique.




 

L’irruption de la spiritualité : un phénomène de sublimation (ou de « transition de phase »).

Venons-en à présent au degré de Maître Maçon.

Nous venons de voir que les deux premiers degrés visent à nous conduire vers des besoins « terre à terre ». Or notre vie n’a qu’un temps borné, mystère pour chacun, mais réalité pour tous. C’est là qu’intervient la transition initiatique qui apporte le degré de Maître Maçon. Différemment de ces deux prédécesseurs, il introduit une dimension de forte spiritualité ; il n’est que spiritualité, dans un rapport direct avec la symbolique du chantier.

Ce changement s’apparente par analogie au phénomène de transformation, dit « transition de phase » ou « rupture de symétrie » ; par exemple, de l’eau, de glace en liquide, de liquide en vapeur, de vapeur en plasma … toujours par apport … d’énergie, sans laquelle rien ne peut se transformer, tout en restant de l’eau. Le passage direct d’un état solide à l’état gazeux, sans passer par l’état liquide intermédiaire, s’appelle « sublimation ». Exemple courant : la neige en fondant sous l’effet de l’énergie solaire se transforme en vapeur sans laisser de trace sur le sol.

Cependant même produit par une sublimation, le degré de Maître Maçon reste dans l’essence de la Maçonnerie, puisqu’il est symbolisé par le passage de l’équerre au compas, c’est-à-dire de la raison à l’intuition, nécessaire pour tenter d’imaginer la mort et l’inconnu impensable de l’au-delà.


Le degré de Maître Maçon, dénommé sans surprise « Sublime Degré », apparaît comme la sublimation des deux degrés du Métier pour introduire un état nouveau : la pure spiritualité associée cette fois-ci, non plus aux besoins décrits précédemment, mais aux secrets et grands mystères de la vie, dont la mort.

Afin de nous aider à nous délivrer de l’angoisse de la fin des choses, comme nous l’observons partout dans la nature, dans le monde, et anticiper celle qui vient … pour nous-mêmes, lentement, parfois brusquement, le degré de Maître Maçon nous conte et nous fait vivre une légende.

Mise sous forme dramaturgique pour que nous vivions virtuellement notre propre mort. Ce degré nous assure que même si chacun affronte seul sa mort, nous ne sommes pas destinés à finir dans la pourriture. Certes notre corps physique se déposera, notre âme physique, principe de vie, s’arrêtera, et notre esprit physique, tel une flamme qui vacille et s'éteindra, ne brûlera plus pour nous permettre de continuer à pouvoir penser. Mais notre être intégral, dont l’enveloppe physique n’était qu’une représentation momentanée, illusoire, prendra le relais. Notre corps d’obscurité deviendra corps de lumière, notre âme sera pourvue de vie éternelle, c’est-à-dire libérée des entraves du temps et de l’espace, notre esprit aura rejoint l’Esprit, ce qui nous permettra désormais de voir, de comprendre et d’agir sur tout ce qui nous avait été interdit, oublié, camouflé, jusque-là dans notre vie terrestre.

La mort devient, par la leçon de ce degré, une simple transition vers le repos, auquel nous ne pouvions ni ne devions aspirer en travaillant sur le chantier.

Le degré de Maître Maçon est donc un degré de consolation spirituelle, d’apprivoisement de la mort et de l’éloignement de l’angoisse qu’elle pouvait nous causer au moment de déposer nos outils. C’est pourquoi il est représenté symboliquement par la feuille d’acacia au bois imputrescible. 


En conclusion.

De ce qui précède, le degré de Maître-Maçon ne peut être un aboutissement ; il est forcément le début d’une grande aventure spirituelle à laquelle la Franc-maçonnerie nous invite à participer pour notre bien et celui de nos semblables.




[1] Cf. la première édition des Constitutions d’Anderson (1723), art. XXXVII. Dans cette première édition, l’appellation « Maître » désigne non pas un grade (degré) mais le « Vénérable » (Compagnon le plus ancien) alors désigné aussi « Maître de loge » ou « Maître de la Loge ». Le Rite Français a conservé quelquefois cette appellation, alternativement avec « Vénérable ». L’attestation de la pratique d’un troisième grade (degré) … et sa légende particulière ainsi que son Instruction par demandes et réponse, apparaissent explicitement dans la Divulgation « Masonry Dissected » de John Pritchard, publié en 1730. B.E. Jones signale qu’en 1738 certaines loges de la Première Loge sont signalées comme ayant « aussi » un grade de maître (Constitutions d’Anderson, p. 184-190). Cela prouve au moins qu’en 1738 le système à trois grades n’était pas pratiqué par toutes les loges.






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