Depuis le big bang, tout provient d'imperfections fondamentales, d'asymétrie primordiale, d'accident cataclysmique, d'erreurs de duplications génétiques.
Sans les imperfections, l'univers ne serait que rayonnement.
Toute vie et plus encore la vie intelligente, est un accident rare et précieux."
Marcelo Gleiser.[1]
L’incertain est consubstantiel à la vie. La vie est un cheminement dans et vers l’incertain, sinon elle ne serait pas, comme l’affirme la citation en introduction. Chacun, qui ouvre les yeux le matin et commence sa journée par mettre un pied devant l’autre, même si ce n’est pas pour sortir dans le vaste monde, sent, sait et imagine que c’est dans l’incertain qu’il va s’aventurer. Sauf à accepter une forme de vie qui le fait végéter à la surface de la terre ; et encore, car l’incertain est partout dans le temps et l’espace …
L’incertain n’est pas le risque. Le risque peut s’évaluer par le calcul des probabilités et donc « se gérer ». L’incertain ne peut être évalué, il « tombe dessus » de manière imprévisible, tant sa probabilité de survenue que l’ampleur de ses conséquences ne peuvent donc être anticipées ni évaluées.
Il en résulte que l’incertain inquiète, il angoisse, il agit sur nous comme si, perdu dans le désert, nous constations tout d’un coup, que notre boussole s’est brutalement cassée, que nous n’avons plus d’eau dans notre gourde, alors qu’on pensait qu’il en restait encore, et que notre smartphone ou téléphone satellitaire, en qui nous mettions toute notre confiance pour demander de l’aide, ou ne fonctionne plus alors qu’il fonctionnait encore il y a peu …
Ainsi, dans les moments de crise grave ou de situations limites, il nous revient cet aphorisme de la Rome antique : « Mors certa, hora incerta » : « La mort est certaine, son heure ne l’est pas ». Il n’en reste pas moins que la mort est toujours au bout du chemin, quels que soient sa longueur et son tracé.
Un combat permanent et dissymétrique contre l’incertain.
Tout un chacun est sans cesse engagé dans un conflit permanent entre des choix de pensée, de volonté pour préparer le passage à l’action et d’action, pour lesquels il se pense libre. Mais si l’on est sincère, nous devons avouer que nous ne savons pas avec certitude ce qui serait bien et ce qui ne le serait pas. Et pourtant nous vivons dans un cadre moral, construit progressivement dans le cœur de notre civilisation et dans les nôtres. Chacun peut hélas constater que ce cadre normatif, donc certain, se déconstruit, nous fait tâtonner dans le couloir obscur de l’incertain à chacun de nos pas.
L’évolution de la société, ne nous apporte guère de réconfort face à l’incertain. Elle nous égare par l’exaltation de tous les individualismes, « mon désir, c’est mon droit », ce que des structures publiques (exemple Conseil d’État) renforcent parfois en déconstruisant ce qui a été certain et donc rajoutent à l’incertain.
Où est donc passé le sens ?
L’impuissance de la science et de la philosophie face au poison mental de l’incertain.
La science et la philosophie ne concourent guère à nous mettre à l’abri de l’incertain. Alors que la religion nous avait fait croire que la terre était au centre de l’univers, que celui-ci était de dimension certes immense mais finie, et que l’homme était le roi de la Création, voilà que nous apprenons, siècle après siècle, que nous sommes, hommes et terre, minuscules, un point infime, perdu dans un univers, peut-être lui aussi perdu dans une multitude d’univers et que l’infiniment petit, que nous avions pensé être définitivement ou presque bien connu, a ouvert en grand les portes de l’incertain.
La philosophie nous désespère en abaissant notre grandeur présumée : « Le silence éternel des espaces infinis m’effraie[1]. » ; « l’homme n’est pas dans la Nature un empire dans un empire[2] ». Macrocosme et microcosme ne laissent pas de nous rejeter dans l’incertain. La réalité nous échappe au fur et à mesure que nous levons les bouts de voile qui la couvre ; elle se réduit à ce que nous pouvons percevoir par nos sens, penser découvrir dans le réel par notre raison et notre entendement, par le tâtonnement des expériences, et tenter de dépasser nos limites, notre finitude, par nos intuitions, si nous en sommes capables.
La Voix dans la Bible.
Face à l’incertain qui ronge nos vies, la Bible, tant décriée, moquée ou controuvée par certains pour faits d’incohérences historiques ou internes, nous fait entendre une voix cependant consolante.
Dans le Livre de l’Exode : « Ils me feront un sanctuaire et je résiderai au milieu d'eux » (Exode 25, 8). Parole entendue en temps et lieux pleinement incertains, puisqu’elle s’adresse à son Peuple Choisi, choisi pour répandre Sa parole parmi les hommes … mais en la circonstance particulière où son Peuple est complètement perdu dans le désert et sous l’emprise de l’angoisse après l’euphorie de sa sortie de l’esclavage en Égypte. Dieu ne dit pas « je résiderai au milieu du sanctuaire que vous me construirez » mais au milieu … des hommes. Et cela est naturellement totalement différent !
Le Rite et le Temple.
Sur la base de cette Parole, que peut donc nous apporter la Franc-maçonnerie dans ce monde de l’incertain, donc de l’angoisse, des ténèbres ou de son ignorance délibérée ? Justement la vertu de deux lumières : le rite et le Temple, un modèle de pensée de référence !
Le Rite est ce qui nous permet de nous extraire du temps qui passe et de nous évader un court moment hors de l’actualité, de l’immédiateté, de la perfusion technologique qui nous conditionne, et donc des ténèbres dans les affres de l’incertain. La Franc-maçonnerie, tous rites confondus, nous offre un modèle de référence unique : le Temple de Salomon à Jérusalem ; il fait écho au verset biblique susmentionné. Il est le lieu de la mise en œuvre du Rite.
La Franc-maçonnerie donne du sens à notre cheminement. Si notre venue sur cette terre a un caractère divin, comment la rendre cohérente ? pour quelle mission, quels objectifs, pourquoi, comment, pour qui ? et ensuite … ?
Cette voix de la Divinité, qui s’est rapprochée de nous, assure que ce n’est pas vers l’incertain du ciel ni vers celui de la terre qu’il faut tourner nos regards, mais, le diriger avec assurance vers les hommes nos Frères. C’est là notre devoir de transmission pour accroitre et renforcer la vraie Maçonnerie dont les membres, tels des « apôtres » combattent, inspirent et inoculent, pas à pas, par leur exemple et leur disponibilité, la puissance du juste, du bien, du bonheur ; en quelque sorte un remède universel, à action progressive, graduelle (« les « grades » ou « degrés »), contre l’incertain.
Puisque ce Dieu est devenu si proche (cf. Moïse et le Buisson Ardent, Moïse et son dialogue avec Dieu sur la Montagne, Jésus-Christ et son sacrifice ultime pour l’humanité, etc.), écoutons ce qu’il nous dit. Il nous parle de demeure à Lui construire, d’hospitalité à Lui accorder pour construire en profondeur avec nous-mêmes (en solitaire) mais aussi avec autrui (en solidaire) une société fraternelle ; une véritable transformation des relations humaines. N’est-ce pas là précisément le but, la raison d’être de la Franc-maçonnerie : faire des Frères « une famille universelle unie par les mêmes pratiques et les mêmes lois. »
Dans ce XVIIe siècle qui vit s’étendre les influences de Tycho-Brahe, de Giordano Bruno, de Descartes, de Galilée, de Kepler, notamment, puis surtout ce XVIIIe siècles, siècle des « Lumières » par excellence, de la communication scientifique partout en Europe[3], les progrès déjà fulgurants de la science et de la philosophie, conduisirent des intellectuels à rejeter Dieu et la Bible au rang de contes pour enfants. Ils nous plongeaient ainsi dans les frayeurs de l’infini grand ou petit.
La Franc-maçonnerie spéculative naissante, par sa formidable puissance de fraternité, se présenta ainsi comme une puissante réponse aux angoisses de la solitude, de la désespérance, et de la désorientation (« l’Orient ») provoquée par l’incertain.
C’est ainsi que le Temple du Roi Salomon, modèle universel de la Franc-maçonnerie, les tableaux (« tapis ») de loge, l’ensemble des symboles, nous invitent à leur confier nos interrogations, à les laisser parler pour nous confier en retour leurs balises morales et spirituelles consolantes. La dynamique de groupe qu’engendre la mise en œuvre du Rite met les Frères Maçons en résonnance avec un temps et un espace qui ne doivent plus rien à l’incertain.
« Si l’on entend bien l’Art », nous avons là, par le Rite et le Temple, un guide de vie, une lampe sur nos chemins, un bouclier vivant contre les méfaits psychologiques et sociétaux, une lumière d’espérance contre l’incertain.
Février 2024.
[1] Blaise Pascal, Pensées (B 206, L 201), ce qui a fait écrire à Victor Cousin (philosophe et homme politique français, 1792-1867) : « Cette ligne sinistre qu’on rencontre séparée de tout le reste, n’est-elle pas comme un cri lugubre sorti tout à coup des abîmes de l’âme, dans le désert d’un monde sans Dieu ! » Rapport à l’Académie (1843).
[2] Baruch Spinoza, Éthique, Préface de la troisième partie.
[3] Peut-être sur le modèle des « Collèges Invisibles » du mouvement rosicrucien de la Renaissance, lui-même à l’origine de la proto-Maçonnerie spéculative via les Collèges d’Oxford et de Cambridge, et les rosicruciens anglais et écossais.
[1] Physicien et astronome brésilien ; professeur de physique et d'astronomie au Dartmouth College (Grande-Bretagne).
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