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Cahier Bleu n° 31. Le secret maçonnique : Secret de métier ? secret de société ? société secrète ?



Le secret maçonnique, accompagné du serment de non divulgation, a souvent soulevé des questions de toutes parts. En particulier, il a servi de prétexte, entre autres, au Vatican et autres marronniers habituels de presse de toujours, pour fulminer par bulles et articles contre la Franc-maçonnerie. Que n’a-t-on entendu ? Le secret maçonnique serait la « preuve » que « la Franc-maçonnerie est un réseau d’activités inavouables, un repaire d’affairistes et de réseaux d’influence qui ne veulent que l’on sache de leur « business » et de leur « pouvoir », des occultistes, c’est sûr, qui pratiquent de la magie, peut-être satanique dans leurs temples fuligineux, des gnostiques anti-chrétiens, etc. »

Mais au fond de quoi s’agit-il quand on parle sérieusement de « secret maçonnique » ?


1. Historiquement, un secret de métier.



Il est toujours bon, quand on se penche sur un sujet, de se rappeler qu’il est nécessaire de se transporter en esprit et dans l’époque où le sujet est né. Le secret maçonnique est un sujet qui n’échappe pas à cette prudente et rigoureuse précaution.

Il est clair, depuis la seconde édition des Constitutions d’Anderson (1738), que la Franc-maçonnerie revendique (à tort ou à raison) sa filiation avec les Maçons opératifs, bâtisseurs des cathédrales et édifices civils, et depuis lors, chargés d’en assurer la maintenance. D’où des loges situées à proximité de ces édifices. Dans le métier opératif de Maçon, le « secret », c’est-à-dire, la conservation dans la guilde/corporation de l’ensemble des expertises et qualifications professionnelles, techniques de construction, architecturales, artistiques et administratives de conception, d’exécution et de transmission, était absolument vitale pour la préservation du métier et de l’emploi des Maçons. En quoi consistait-il réellement. À ce que l’on sait, il semble bien, qu’outre les secrets proprement de métier, le « secret » consistait en la communication du « mot de Maçon », repris par la Maçonnerie spéculative, pour se faire reconnaître et obtenir un emploi sur les chantiers. Rien d’étonnant que les Francs-maçons spéculatifs aient conservé symboliquement la pratique du secret, même si celui-ci ne correspond évidemment à rien de concret pour des membres de loges non opératives. Il en est de même pour les Compagnons du Tour de France, qui eux, sont restés opératifs.

Et d’ailleurs, il ne semble pas que le mot « secret » ait été jamais utilisé dans la Maçonnerie opérative et même spéculative primitive, mais plutôt celui de « prudence ». Ceci s’explique par le souci de ne pas être entendu par des ouvriers non spécialisés (« eavesdroppers et cowans » qui auraient voulu, les uns, divulguer le moyen de se faire embaucher sur un chantier, et les autres, de se faire passer indûment pour des tailleurs de pierre spécialisés (apprentis et compagnons), et d’être payé indûment en conséquence, ce qui aurait constitué une tromperie à l’égard du commanditaire du chantier et une atteinte à la qualité du travail.


Le « secret » est donc avant tout le lien symbolique qui réunit les Francs-maçons à leurs lointains prédécesseurs. En ce sens, le secret maçonnique est clairement un secret de métier, c’est-à-dire un « secret professionnel », ou encore un secret entre soi et son métier.


2. Un marqueur identitaire et un moyen de mesure de ses propres progrès moraux.



Historiquement, le « secret » n’est rien d’autre, qu’un lien d’appartenance à la société des Francs-maçons, comme le prouve en 1744, la divulgation de l’abbé Pérault, « Le Secret des Francs-maçons » : « Le secret des francs-maçons réside principalement dans la façon dont ils se reconnaissent. »

Mais alors, quel est le but de cette société ? La Franc-maçonnerie est une société qui vise à permettre l’amélioration morale de ses membres pour faire de chacun un maillon d’une chaîne humaine de fraternité, un homme meilleur sous tous rapports. L’ensemble du corpus des symboles, outils et instruments des Maçons opératifs est métaphorisé chez les Francs-maçons en valeurs morales. Elles sont destinées à faire de chacun des exemples de vie personnelle, familiale, professionnelle et civique en perfectionnement constant. On peut donc affirmer qu’à ce stade déjà le secret de métier n’a plus de consistance ; il sert à se faire reconnaître en tous points du globe et à être reçu comme tel, comme autrefois sur les chantiers.

Mais surtout, le secret maçonnique est un repère personnel à chacun lui permettant, dans le fond de son être, de mesurer et de s’assurer que le processus de perfectionnement moral est en bonne voie dans les domaines précités.

Cet aspect du « secret » est d’autant important que pour communiquer dans sa collectivité, le Franc-maçon a conservé un vocabulaire transmis au fur et à mesure par ses pairs depuis les premiers instituteurs, et, encore une fois faut-il rappeler, qu’il est nécessaire de se transporter en esprit et dans l’époque ou ce vocable est né et qu’en était et reste le sens.

De plus le Franc-maçon communique souvent par analogie aux rites et symboles participant à l’enseignement et aux révélations progressives de l’initiation, ce qui rend bien peu probable qu’un profane puisse en saisir le sens véritable et le conduise plutôt à des interprétations imprudentes voire, par dépit à s’en faire des idées hasardeuses.


C’est donc là un « secret » entre soi et sa collectivité d’appartenance.


3. Une société secrète ?



Qu’est-ce qu’une société secrète ? En bref c’est une société qui cache ses buts, parce qu’ils sont inavouables, et l’identité de ses membres, parce qu’ils agissent dans la clandestinité contre les institutions établies. La Franc-maçonnerie, tout au contraire, exige pour en devenir membre et … le rester, que chacun respecte scrupuleusement les lois du pays et celles de la morale. Le secret maçonnique ne porte donc nullement sur le complot, la conspiration ou la subversion. Dans les pays anglo-saxons ou germaniques, et d’une manière générale, protestants, où la pensée est libre et les appartenances de convictions sont d’ordre privé, les loges maçonniques ont pignon sur rue. Leur date de réunion est publiée dans les journaux, comme, par exemple, en Écosse. Dans ces pays où les dirigeants au plus haut niveau en sont souvent membres et protecteurs, l’appartenance maçonnique est souvent connue. Dans ces pays, la Franc-maçonnerie remplit, de longue date, un rôle fortement caritatif : construction et gestion d’hôpitaux, de maisons de retraites, d’orphelinat, et autres activités caritatives. Dans un tel contexte, il est impossible de qualifier la Franc-maçonnerie de société secrète ! Elle est parfois accusée d’être une société d’entraide entre membres, à la faveur du partage du secret commun. Cela n’est pas faux, mais la Franc-maçonnerie n’est ni plus ni moins une société d’entraide que les associations d’anciens élèves de grandes écoles ; et même moins, car dans les loges se retrouvent des personnes de classes sociales fort différentes, ce qui n’est pas le cas pour les élèves sortis des grandes écoles, même s’ils l’ont été avant d’y entrer et d’en sortir formatés en « classes homogènes » …

En ce sens, le secret maçonnique est, par nature et destination, totalement étranger à un quelconque secret de société secrète.


4. Alors à quoi peut bien servir, dans la pratique, le secret maçonnique ?



C’est là qu’intervient le mystère propre à la Maçonnerie. Le secret sert à produire une expérience individuelle … inexprimable, donc secrète pour soi. Le secret maçonnique, s’il est entendu correctement par la façon dont il est cérémoniellement communiqué, permet, de considérer le monde et soi, chacun à sa façon, dans le cadre du but commun de perfection de soi, et en respectant sa propre personnalité et celle des autres. Le secret maçonnique, dont le contenu est, comme indiqué, transformé en métaphores, permet d’ouvrir une brèche dans notre monde et dans notre soi appauvri, abruti et conditionné, dans notre individualisme moutonnier. Il permet d’éclairer la compréhension du monde et de soi d’une façon renouvelée, différente d’autres méthodes conventionnelles ou parallèles. Cette expérience propre à la méthode et au secret maçonniques donne une idée nouvelle de ce que l’on est, dégagé de l’écorce posée sur notre véritable personnalité par les influences extérieures ou par les passions intérieures, étrangères à notre soi véritable.


Par expérience, il est utile de préciser l’ambivalence de ce mot car la langue française ne rend pas suffisamment clair son double sens. Pour sortir de l’ambigüité, il est nécessaire de faire un court détour par la langue allemande. Elle possède deux mots différents, bien connus des étudiants français en langue allemande, pour signifier les deux aspects distincts de l’expérience, c’est-à-dire des modes de déclenchement d’étapes d’évolution de son esprit et de sa vie.

- Dans un premier sens (« Erfahrung »), l’allemand désigne un brusque événement, ou une série d’événements, moment(s) singulier(s), produisant en soi un choc venu de l’extérieur de soi. En ce sens, l’expérience secrète qui en résulte, implique l’altérité, la contribution de la collectivité. C’est en quelque sorte une influence transcendante. C’est le cas de la vocation maçonnique de la loge et de la transmission du secret, pour que chacun devienne véritablement de ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un être bon, positif et généreux. Mais altérité ne veut pas dire « conditionnement » ni « formatage », car le but est de faire expérimenter une secousse pour faire ensuite revenir à sa propre identité débarrassée de la gangue des illusions et des constructions d’égo.

- Dans un second sens du mot expérience (Erlebnis »), l’expérience est signifiée comme révélation de ce qui était déjà présent en soi, et qui n’attendait qu’une impulsion venue de l’extérieur pour se réveiller et prendre forme. Dans ce cas, l’infusion du secret maçonnique est une épreuve à vivre dans sa propre intimité. Elle implique l’immanence de sa propre personnalité, c’est-à-dire, de sa propre nature pour « mettre en route » son évolution vers le progrès individuel, sans qu’il soit nécessaire d’intégrer l’influence extérieure, qui, en Franc-maçonnerie se réduit à une simple mise en mouvement de soi, en marche vers « la lumière ».


Pour se résumer, le message spirituel diffusé à chaque cérémonie, ouverture et clôture de la loge, est reçu d’une part collectivement par l’assemblée des Frères : c’est donc une expérience secrète sollicitée de l’extérieur de soi, éprouvée en tant qu’unité communielle (Erfahrung) ; et, d’autre part, le message est reçu individuellement, et chacun le reçoit, en quelque sorte « dans sa langue » pour se révéler à lui-même et se mettre en marche vers son perfectionnement humain (Erlebnis).



Mais attention le secret maçonnique peut rester inopérant, par exemple s’il est transmis sans conviction ou reçu sans réceptivité. Dans ce cas, l’expérience Erfahrung reste faible et l’expérience Erlebnis ne se déclenche pas.

C’est pourquoi, le secret maçonnique, pour être opératoire, exige conjointement la disponibilité d’esprit du Maçon et l’harmonie collective, et naturellement, l’assiduité aux travaux de sa loge. Il se produit alors une « reprise » de soi, un infléchissement bénéfique dans le sens du but de perfectionnement de soi recherché, la mise en marche de l’achèvement de ce qui était déjà là en soi.

Le secret maçonnique, qui est le cœur mystérieux et invisible du processus initiatique de la Franc-maçonnerie, oriente ainsi le Maçon vers le lieu secret intérieur, où la rencontre avec son vrai soi peut se produire … peut-être, un mouvement vers ce qui se dérobe et qui serait resté toujours étranger à soi autrement. Mais arrive-t-on au bout du chemin ? Certainement pas. Mais si cette mise en mouvement, sous l’effet du secret maçonnique, se produit, le but pourra apparaître un peu moins lointain. Il s’ensuit que le secret maçonnique est en quelque sorte le moteur silencieux du processus initiatique. Comment alors penser pouvoir communiquer un tel secret ?


En ce sens, le secret maçonnique est une confidence, un mystère, entre soi et soi.




G.L.I.F. 11/2021.


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