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Cahier Bleu n° 28 : Non, la période actuelle n’explique pas tout !



La Franc-maçonnerie n’a pas, dans les temps actuels, la vie facile. En particulier la forme cérémonielle de ses réunions est fortement atteinte. Même si le contact et le travail maçonnique se maintiennent tant soit peu au travers de visioconférences et d’échanges épistolaires ou téléphoniques, les Frères ne peuvent pas se revoir en Tenues, et, quand ils osent sortir pour se réunir, c’est avec masques, à distances obligatoires, dans « jauges limitées » et autres « mesures barrière ». Cela donne un aspect étrange et une pratique mutilée à ce qui était jusque-là une convivialité fraternelle régulée et sacralisée par la solennité des rituels. Or la solennité cérémonielle est la marque de la Franc-maçonnerie. La cérémonie n’est pas un décorum stérile, mais le support régulé de l’illumination initiatique intérieure. Elle ne vient pas de rien, mais de la haute tradition des sociétés à mystères. Or que vaut la pratique maçonnique sans cérémonie, c’est-à-dire sans solennité ?


La cérémonie est, en quelque sorte, une mise en place des intervenants et, de là, une mise en condition corporelle, psychique et spirituelle de chacun pour solliciter l’attention et la concentration des participants réunis pour réaliser l’objet même de leur travail : selon les cas, un ouvrage, une séance de prières, un mariage civil ou religieux, un acte de commerce fondé sur la confiance, le « crédit » (Ligue hanséatique), etc. Elle donne donc en quelque sorte à chacun la clé de la porte à ouvrir en commun pour le résultat au bénéfice de chacun. C’est pourquoi, civile ou spirituelle, la forme cérémonielle est indispensable pour une communauté au travail au sens large, et pour chacun de ses participants.

La Franc-maçonnerie a pour objet de travail l’élévation morale (objectif social minimal) et spirituelle de ses membres, et en particulier pour certains rites à certains degrés de l’initiation, la transmission de la connaissance des mystères les plus profonds depuis la création du monde. C’est là sa double dimension : construction sociale et illumination ésotérique. Comment concevoir l’effectivité de cette raison d’être sans procédures cérémonielles pour faire communier les individualités en une communauté de travail organisée et spiritualisée ?

Le cérémonial des obsèques du Duc d’Édimbourg, taillé au cordeau et effectué, aussi dans la période actuelle, avec une admirable dignité (processions, mouvements, gestuelle, musique, silences, etc.), nous donne une image impressionnante de sa puissance évocatrice, culturelle et civilisationnelle et de son impact sur les esprits. Nous pouvons ainsi mesurer ce que la Franc-maçonnerie perdrait de son objet même à vulgariser voire pire, à négliger son essence cérémonielle. Les loges, les juridictions de hauts-grades, les offices de responsabilités ne peuvent échapper au sort que connaît tout ce qui est vivant : la corruption dans la durée.

Même si l’époque en est largement responsable par les contraintes qu’elle fait peser sur les Frères, elle n’explique pas tout, et il y a prudence à s’affranchir des risques que tout comportement non maçonnique peut présenter comme danger sur la solennité cérémonielle de la Franc-maçonnerie :


- l’utilisation systématique des rituels de cérémonie pour des Tenues sans réception finirait, à la longue, par en banaliser la solennité, et cela s’en ressentirait quand ils deviennent nécessaires pour des cérémonies.

- la préparation, des cérémonies si elle devient insuffisante, ferait que la solennité viendrait à manquer avec, pour conséquence, le ressenti du rôle des acteurs comme un pensum pour eux, et la présence des autres en assistance à un spectacle qu’ils ne manqueraient pas de critiquer.

- s’il s’avère fréquent, le recours à des « planches » répondrait peut-être au besoin de « travailler », mais éloignerait de la solennité initiatique collective. Elle se verrait substituée par des exposés de savoirs individuels et mettraient en question, à juste titre, l’utilité du recours « mécanique » à des rituels de cérémonie dans ce contexte.

- les postures désinvoltes en loge ouverte, et autres inconvenances, nuiraient gravement à la solennité par le spectacle affligeant qu’elles donneraient à voir.

- des réactions de susceptibilité, des bouffées d’égotisme, l’envahissement de l’ergotage et le pinaillage, quand ce n’est pas l’expression de la détestation des uns envers les autres comme on le vit dans le monde profane, provoqueraient, si cela se présente, la profanation du sacré des réunions rituelles, et constituerait une véritable déchirure du tissu cérémoniel.


Il s’ensuit que l’éloignement de la solennité requise pour les cérémonies risquerait de céder la place à des renoncements, des retournements de sens, quand ce ne serait pas de dépense d’énergie en grande quantité, autre que celle requise par la raison d’être même de la Franc-maçonnerie.

Non, la période actuelle n’explique pas tout. Le tableau paraît bien noir.

Mais pour que la lumière ne s’éteigne pas, il suffit de rester exemplaire et d’organiser la résistance. Et cette résistance repose sur une condition : ne pas déposer les outils symboliques pour ne pas s’écarter de la raison d’être de la Franc-maçonnerie, qui s’exerce dans un espace-temps sacralisé et donc solennisé. La Bible ne nous enseigne-t-elle pas que, quand tout semble s’écrouler par faits de déviance, il y a toujours eu un « petit reste » pour redonner la vie, ranimer la flamme et revenir sur la voie droite. Alors, avec force et courage, c’est ce « petit reste » qui, par sa foi maçonnique inébranlable, protègera et entretiendra la vie maçonnique traditionnelle, initiatique et fraternelle !

C’est peut-être là la véritable « société secrète » maçonnique, celle qui ne fait pas de bruit, qui s’efforce de faire le bien et de ne pas faire le mal, celle des Maçons loyaux et fidèles à la compréhension et à la transmission du fond dans le cadre cérémoniel de la Maçonnerie.


La Grande Loge Indépendante de France est très vigilante face à ces risques. C’est peut-être pourquoi les loges travaillant sous ses auspices, aux différents rites, ont vu leur nombre augmenter malgré ces temps difficiles : Paris, Bondoufle, Lille, Nantes et bientôt peut-être Perpignan et ailleurs encore, sans parler des Frères en déshérence qui, individuellement, viennent frapper régulièrement aux portes des loges dans notre Grande Loge. Le secret est peut-être très simple : rester ce que nous n’aurions jamais dû cesser d’être, et satisfaire, sans se trahir ni vulgariser l’Ordre, le besoin des Frères et des candidats en matière d’exemplarité, de morale, de spiritualité, de convivialité, de sens et de profondeur. Comment répondre à ce besoin sans le maintien de la solennité initiatique qui, par les procédures cérémonielles traditionnelles, crée l’union, la paix et le silence et illumine les cœurs ?

Et cela ne peut se produire que si chacun reste ferme sur cette voie de valeurs et de pratiques traditionnelles cérémonielles. Alors, aucune période difficile ne pourra affaiblir la Franc-maçonnerie.




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